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Fundamina

versión On-line ISSN 2411-7870
versión impresa ISSN 1021-545X

Fundamina (Pretoria) vol.20 no.2 Pretoria  2014

 

Codex 7,72,6

 

 

Hansjörg Peter

Professeur de droit romain et de droit des poursuites et des faillites á l'Université de Lausanne

 

 


ABSTRACT

The reply of the Emperors Diocletian and Maximian to a certain Agathemeros, in C. 7,72,6, concerns the position of a creditor, especially in the case of a debtor's insolvency. The text lays down several fundamental legal principles concerning personal and real rights; the ranking of creditors; the fact that a pledgee has a better right than an ordinary creditor; the equal status of all ordinary creditors without any preferential right; and the heir succeeding to the obligation. This text proves to be a synopsis of the most important rules of private law.


 

 

La réponse des empereurs Dioclétien et Maximien à un certain Agathemeros a la teneur suivante:

C. 7,72,6

Pro debito creditores addici sibi bona debitoris non iure postulant. unde si quidem debitoris tui ceteri creditores pignori res acceperunt, potiores eos quam te chirographarium creditorem haberi non ambigitur.

1. Quod si specialiter vel generaliter nemini probentur obligatae ac sine successore communis debitor vel heres eius decessit, non dominii rerum vindicatione, sed possessione bonorum itemque venditione aequali portione pro rata debiti quantitate omnibus creditoribus consuli potest.

* Impp. Diocletianus et Maximilianus AA. et CC. Agathemero

On peut en donner la traduction frangaise suivante:

Les créanciers demandent à tort que le patrimoine du débiteur leur soit attribué en contrepartie de sa dette. Par conséquent, si d'autres créanciers de ton débiteur ont regu des biens á titre de gage, ils ont sans doute la priorité sur toi, car tu es seulement créancier en vertu d'une reconnaissance de dette écrite á la main.

1. Mais s'il est établi que les choses ne répondent1 á personne, ni spécialement, ni généralement, et que le débiteur commun ou son héritier décède sans laisser de successeur, on peut aider tous les créanciers, non en leur permettant de revendiquer la propriété des choses, mais en vertu de la possession et de la vente du patrimoine à parts égales en proportion de la dette.

et la traduction allemande suivante:

Die Gläubiger verlangen zu Unrecht, dass ihnen das Vermögen des Schuldners für seine Schuld zugesprochen werde. Wenn deshalb andere Gläubiger deines Schuldners Sachen zu Pfand erhalten haben, so haben sie ohne Zweifel Vorrang vor dir, da du nur Gläubiger kraft einer handschriftlichen Schuldanerkennung bist.

1. Wenn aber erwiesen ist, dass die Sachen niemandem besonders oder allgemein verpflichtet2 sind und der gemeinsame Schuldner oder sein Erbe ohne Nachfolger stirbt, so kann man allen Gläubigern helfen, und zwar nicht mit der Vindikation des Eigentums der Sachen, sondern kraft Besitzes und Verkaufs des Vermogens zu gleichen Teilen im Verhaltnis zur Schuld.

En néerlandais3 la traduction est:

Niet in overeenstemming met het recht verlangen de schuldeisers dat hun het vermogen van de schuldenaar naar verhouding van (het beloop van iedere afzonderlijke) schuld wordt toegewezen. Vandaar dat er niet aan getwijfeld wordt dat, als andere schuldeisers van uw schuldenaar zaken in pand hebben ontvangen, zij geacht worden een sterkere positie te hebben dan u als schuldeiser met (alleen) een handgeschreven schuldbekentenis.

1. Maar als bewezen wordt dat die zaken aan niemand tot speciale of generale zekerheid verbonden zijn en de gemeenschappelijke schuldenaar of diens erfgenaam zonder rechtsopvolger overleden is, kan niet met de revindicatie (gericht) op de eigendom van de (tot de boedel behorende) zaken, maar door beslag op de boedel alsmede door verkoop hulp geboden worden aan alle schuldeisers voor een gelijk gedeelte in evenredigheid tot het bedrag van de (ieder afzonderlijk) aangaande [recte: aangegane] schuld.

Le texte figure dans le Code de Justinien 7,72, consacré á la faillite et á la separation des biens, la faillite étant la venditio bonorum, la separation des biens permettant, quant á elle, aux créanciers d'un défunt de se satisfaire en priorité sur le patrimoine du défunt, en excluant l'héritier et les créanciers de celui-ci. Les droits modernes ont repris cette possibilité, le droit suisse par exemple á l'art. 594 du Code civil.

Le nom du destinataire de l'avis des deux empereurs, Agathemeros, apparait encore une fois au Code de Justinien, soit au C. 9,47,15.

Ce nom, Agathemer ou Agathemeros, est à l'évidence grec. Il signifie "Le bon jour" ou "Celui qui a un bon jour"4. Il semble avoir été assez répandu á Rome pendant les premiers siècles après Jésus-Christ5.

Dans le C. 9,47,15, les mêmes empereurs Dioclétien et Maximien expliquent à Agathemeros qu'il ne convient pas que le préfet d'une province révoque la peine - une amende - qu'il a prononcée dans sa décision.

Est-ce que les deux Agathemeros sont identiques? On peut le supposer, mais on ne peut pas l'établir.

Le C. 7,72,6 concerne l'exécution forcée, en particulier la position des créanciers face à la faillite de leur débiteur. Cependant, en précisant la position des créanciers, ce texte exprime des principes fondamentaux du droit privé et illustre parfaitement les notions de droit réel et de droit personnel. Toutefois, la doctrine, tant ancienne que récente, mentionne très rarement ce texte6.

Le C. 7,72,6 comporte deux paragraphes, c'est-á-dire le principium et le paragraphe 1. Dans l'édition du Code de Paul Krüger7, le texte n'est pas daté; le C. 7,72,5, des mêmes empereurs, date de 293 et le C. 7,72,7, également des mêmes empereurs, de 294.

Selon la première phrase du C. 7,72,6, pr., "les créanciers demandent à tort que le patrimoine du débiteur leur soit attribué en contrepartie de sa dette."

Les créanciers le demandent non iure, sans droit. Les créanciers demandent que le patrimoine leur soit attribué. Le verbe est addicere, ce qui signifie "attribuer quelque chose à quelqu'un, en particulier par jugement"8. Il est évident qu'on ne peut se faire attribuer un bien que si l'on a un droit sur celui-lá9. Le créancier ordinaire n'a toutefois pas de droit sur un bien, encore moins sur le patrimoine entier, de son débiteur.

Entre le créancier et son débiteur, il y a l'obligation. Cette obligation est un lien de droit, en vertu duquel le débiteur doit effectuer une prestation en faveur du créancier10. Le débiteur doit donner, faire ou effectuer une prestation11. Il n'a pas accordé de droit sur ses biens à ses créanciers. Le créancier peut seulement exiger que quelque chose se fasse. Il ne peut pas prétendre à tel bien ou tel objet, car il n'a pas de droit réel12. Le simple créancier qui ouvrirait, en se fondant sur sa simple créance, action en justice contre son débiteur obtiendrait un jugement condamnant ce débiteur, en fonction de l'obligation, à donner, à faire ou à effectuer une prestation. Il n'obtiendrait pas un jugement constatant ou déclarant que tel objet appartient au créancier13.

La "contrepartie" de la dette du débiteur, évoquée dans la première phrase de notre texte, n'est donc pas un droit du créancier sur le patrimoine du débiteur. La dette est, pour le débiteur, un devoir. Pour le créancier, en revanche, c'est le droit d'exiger, mais ce n'est pas un droit réel. Cette premiêre phrase est ainsi déjà une illustration parfaitement claire du droit matériel, des principes généraux du droit.

Le texte continue: "si d'autres créanciers de ton débiteur ont regu des biens à titre de gage, ils ont sans doute la priorité sur toi, car tu as seulement une créance en vertu d'une reconnaissance de dette écrite à la main".

Cette seconde phrase du principium mentionne "ton débiteur" debitoris tui. Elle nous fournit un renseignement sur Agathemeros, le destinataire du texte. On peut en déduire que Agathemeros est créancier et, malheureusement pour lui, pas créancier gagiste, mais seulement créancier chirographaire. Si le texte latin se limitait à dire "tui debitoris", on pourrait éventuellement hésiter à ce sujet. Agathemeros pourrait ne pas être nécessairement créancier, mais le pronom "tui" pourrait être utilisé pour désigner un terme générique; "ton débiteur" serait "le débiteur" en général. Comme la phrase indique vers la fin que le destinataire du message, Agathemeros, est seulement créancier chirographaire, cette maniêre de voir paraît peu probable.

La phrase montre une autre évidence, soit qu'un débiteur peut avoir plusieurs créanciers. Une personne peut s'obliger autant de fois qu'elle veut, ses créanciers ne peuvent pas l'en empêcher14. Ulpien constate qu'il est permis à un débiteur d'aggraver la condition de son créancier en s'ajoutant un nouveau créancier15. Dans notre texte, le débiteur d'Agathemeros a encore, selon la premiere phrase, d'autres créanciers.

Le début de la seconde phrase du principium évoque les créanciers qui ont accepté des biens du débiteur à titre de gage: pignori res acceperunt. Ils ont regu des choses en gage, le texte ne précisant pas s'il y a eu ou non un transfert de la possession. Même si le terme employé, pignus, désigne souvent le droit de gage résultant du transfert de la possession, tandis que hypothèque, hypotheca, désignerait le gage n'impliquant pas un tel transfert16, ce n'est pas nécessairement toujours ainsi17.

Quelle que soit la nature du droit de gage, l'important est ici, dans notre texte, qu'il y a un tel droit, ou plusieurs, et que les créanciers ont accepté des choses à titre de gage. Le texte illustre ainsi que l'on peut accepter, recevoir des choses d'autrui à différents titres. La possession se transfêre en vertu de telle ou telle cause. Elle se transfêre parce que les parties veulent transférer la propriété à l'acquéreur, elle peut aussi se transférer uniquement à titre d'usufruit ou de gage. La volonté des parties, ce qu'elles prévoient dans leur contrat, détermine ce que transfère l'aliénateur et ce que regoit l'acquéreur18. Ainsi, notre texte rappelle une autre notion, fondamentale, du droit: la cause du transfert de la possession qui fonde le droit réel consécutif, l'acquéreur ne pouvant pas avoir davantage que ce qu'avait l'aliénateur19.

Le destinataire du message, Agathemeros, est seulement créancier chirographaire. Le texte latin emploie le composé de deux mots grecs. Le créancier chirographaire est celui qui a seulement une reconnaissance de dette écrite20, par exemple un papyrus, par opposition au créancier gagiste qui bénéficie d'un droit réel.

Ce créancier gagiste est "sans doute" plus fort que le créancier chirographaire, ainsi que le dit le texte. Le texte utilise le verbe ambigere: non ambigitur. Il n'y a pas d'ambiguïté, les choses sont claires. Il est donc évident, pour les auteurs du texte, que le créancier gagiste est plus fort, plus puissant, que le créancier chirographaire21. Le texte emploie ici le motpotiores, pluriel de potior. C'est exactement ce terme qui figure aussi dans les textes illustrant le principe de la priorité dans le temps des droits réels. Ainsi le C. 8,17(18),3 (4), une constitution de l'empereur Antonin, de l'an 213, dit: ... sicutprior es tempore, ita potior iure.

Et la même expression figure dans le C. 8,17(18),8, des empereurs Dioclétien et Maximien, dont émane aussi notre texte - et qui illustre le même principe.

Les deux textes du C. 8,17(18) sont les références en ce qui concerne la priorité dans le temps des droits réels. Il est à la fois intéressant et significatif que le même adjectif apparaisse dans notre texte: le créancier gagiste est plus fort que le créancier qui n'a pas de droit de gage.

Ainsi, le destinataire de notre texte est créancier ordinaire, chirographaire. Les créanciers gagistes l'emportent sur lui, ont la priorité. Ils ont cette priorité en vertu de leur droit de gage et non en vertu d'une autre cause (cf. ci-dessous).

Le paragraphe 1 du texte comporte une seule phrase, assez longue. Elle commence ainsi: "S'il est établi que les choses ne répondent à personne, ni spécialement, ni généralement ...". Le sujet - les choses ou biens - n'apparait pas, dans le texte original, en tant que substantif. Il est compris dans le participe du verbe obligare, obligatae, au féminin pluriel; il n'y a que res, au pluriel, du principium qui peut s'y rapporter.

Ces choses ou biens ne sont pas obligées, elles ne sont obligées à personne - nemini. Ces choses ne répondent donc à personne. Ce qui signifie que personne n'a un rapport particulier avec elles. De nos jours, on dirait qu'elles ne sont grevées en faveur de personne. "Obliger une chose" en faveur de quelqu'un est devenu une tournure rare. Il est plus courant de dire qu'une charge greve une chose. La même expression s'utilise en italien: L 'onere grava il bene. En allemand, on dit en Suisse: Ein Recht belastet eine Sache.

Cette obligation peut être générale ou spéciale. Cela s'entend du droit de gage. Le texte nous dit que les choses ne sont ni spécialement ni généralement obligées, c'est-à-dire engagées22. Il n'y a donc pas de droit de gage général sur un ensemble de choses - le patrimoine entier ou une partie de celui-ci - ou de droit de gage grevant spécialement telle chose déterminée23. Le droit suisse ne reconnaît pas l'hypotheque générale sur un ensemble de biens, mais uniquement le droit de gage spécial.

Les deux empereurs exigent qu'il soit établi que les choses ne répondent à personne. Le verbe probare signifie prouver, et il amène à rappeler le fardeau de la preuve. Celui qui agit, qui prétend, qui affirme doit établir le bien-fondé de son droit24. Ce n'est pas différent aujourd'hui, il suffit de lire l'art. 8 du Code civil suisse25. Si donc Agathemeros fait valoir qu'il n'y a pas de droit de gage grevant ces biens, il doit le prouver. En revanche, le créancier gagiste qui n'aurait pas la possession des biens engagés devrait, le cas échéant, prouver son droit de gage.

Le texte prévoit ensuite que le débiteur commun ou son héritier décède sans laisser de successeur.

La tournure débiteur commun saute aux yeux. Le débiteur est débiteur de tous ses créanciers, dès lors il est "commun". Et son patrimoine répond à tous ses créanciers, chacun d'eux pouvant exiger la liquidation du patrimoine. Cette liquidation interviendra, le texte l'explique plus loin, en faveur de tous en proportion de la créance de chacun. C'est l'exécution générale, qu'on appelle aujourd'hui la faillite - Konkurs en allemand ou fallimento en italien. Et le débiteur commun, communis debitor, est en Suisse alémanique appelé aujourd'hui encore, couramment, Gemeinschuldner. Der gemeine Schuldner est le débiteur commun à tous, comme das gemeine Recht est le droit commun à tous. On trouve encore das Gemeinwesen, la collectivité publique, ou, par exemple, das Gemeinwerk, le travail commun des habitants d'une commune, en particulier dans le canton du Valais pour entretenir les bisses, les conduites qui amenent l'eau aux pâturages des villages.

Le débiteur commun ou son héritier, selon le texte, décède sans laisser de successeur26. Aussi longtemps que le débiteur vit, il répond lui-même de ses dettes, de toutes ses dettes. Lorsque le débiteur décède, ses héritiers lui succèdent. La succession intervient à titre universel, tous les droits et toutes les obligations du défunt passent aux héritiers27. Il convient évidemment d'excepter les obligations contractées en raison de qualités particulières d'une partie. L'héritier d'un médecin ou d'un coiffeur ne doit pas exécuter l'obligation professionnelle du défunt, mais bien, le cas échéant, une obligation par exemple pécuniaire de celui-ci. Et l'ordre juridique anticipe cette situation en prévoyant notamment que le mandat ou la société simple tombent lorsqu'une partie décède28. Cependant, les obligations déjà contractées qui n'exigent pas un savoir-faire spécial29 doivent encore être exécutées30.

Le texte illustre ainsi également que l'héritier répond des engagements du défunt31. L'héritier pourrait évidemment répudier ou ne pas accepter la succession, il pourrait aussi l'accepter sous bénéfice d'inventaire32. En l'occurrence, il n'en est pas question.

Selon le texte, l'héritier - s'il y a un héritier - décède, comme le débiteur originaire, sans qu'il y ait de successeur. Personne ne succède au débiteur d'Agathemeros ou, éventuellement, à l'héritier de ce débiteur. Il n'y a pas de personne contre laquelle Agathemeros pourrait agir en paiement.

Il convient dès lors de liquider la succession33 avant que des restes ne passent éventuellement à l'État34. C'est ainsi qu'on peut aider tous les créanciers. Le texte précise: omnibus creditoribus consuli potest. Il est significatif que les auteurs du texte utilisent le verbe consulere, qui veut dire non seulement demander conseil, mais aussi aider, assister quelqu'un.

Comment se présente cette aide?

Le texte apporte deux compléments d'information. Il dit,

1) non dominii rerum vindicatione, sedpossessione bonorum itemque venditione;

2) aequali portione pro rata debiti quantitate.

Le texte précise d'abord que les créanciers ne peuvent pas revendiquer la propriété des biens. Ils ne sont que créanciers, ils n'ont pas de droit réel. La revendication est l'action du propriétaire contre celui qui détient ses biens sans droit35. Le créancier, nous l'avons vu plus haut, n'est pas propriétaire des biens de son débiteur. On retrouve l'idée déjà exprimée au paragraphe principium. Le créancier ordinaire n'a pas de droit sur la chose de son débiteur. Il peut seulement exiger que celui-ci fasse, donne, effectue une prestation.

Dès lors que les créanciers n'ont pas de droit réel, les choses du débiteur ne leur appartiennent pas, même pas à un titre spécial (un droit de gage par exemple). Mais les créanciers ont néanmoins leurs créances. Et celles-ci leur permettent d'exiger, le cas échéant, en principe quand une faute est imputable au débiteur, des dommages-intérêts36. A défaut de cause libératoire - par exemple l'impossibilité objective subséquente37 -, le débiteur qui ne s'exécute pas, doit payer des dommages-intérêts. Et son patrimoine répond de ces dommages-intérêts. Le créancier pourrait les exiger individuellement s'il était seul et face à son débiteur. En l'occurrence, il n'y a plus que le patrimoine du débiteur, face à tous les créanciers, dont Agathemeros, de celui-là. Ce créancier n'est pas seul, tous les créanciers du défunt sont concernés. Les empereurs disent donc que l'on aide ces créanciers par la possession du patrimoine et la vente de celui-ci.

Les créanciers n'ont pas de droit à la possession pour eux-mêmes. Ils n'ont pas de droit réel sur le patrimoine et donc pas de titre leur permettant de procéder. Mais ils ont le droit de faire vendre le patrimoine du débiteur, afin d'obtenir des dommages-intérêts, en se répartissant le produit de la vente. Pour pouvoir vendre valablement des choses, il faut les avoir. Dès lors, le rôle de la possession: les créanciers regoivent le patrimoine du débiteur pour le vendre. Ils manquent d'un titre pour le garder, mais ils peuvent exiger de l'argent résultant de la vente. Et les créanciers n'exercent pas eux-mêmes la possession, mais à travers le curateur des biens qu'on appellerait aujourd'hui l'administration de la faillite.

Les créanciers sont habilités á vendre le patrimoine de leur débiteur. Ce pouvoir est inhérent à leurs créances pour le cas où leur débiteur ne s'exécuterait pas. Normalement, seul le titulaire du pouvoir de disposer, le propriétaire de la chose, peut aliéner celle-ci. Ce droit peut cependant revenir à quelqu'un d'autre: le créancier gagiste a le pouvoir, en vertu du droit de gage, de faire vendre la chose d'autrui, soit le gage, s'il n'est pas satisfait38. C'est même le principal pouvoir découlant du droit de gage et, pour ainsi dire, la définition de celui-ci: avoir un gage signifie avoir le pouvoir de vendre une fois la chose d'autrui, lorsque les conditions - l'inexécution d'une obligation - sont réunies. Le créancier gagiste a ce droit en sa faveur exclusive, et sur une chose déterminée - l'objet du gage qui lui répond. Il a ce droit dans les limites dans lesquelles le gage lui répond; c'est-á-dire pour le montant pour lequel le gage a été constitué, au maximum pour le montant de la créance garantie.

Le créancier non garanti par gage, ordinaire, n'a pas ce droit sur une chose précise. Il n'a de droit que contre le débiteur. Et il ne peut pas exiger que telle chose déterminée soit réalisée en sa faveur exclusive. Mais il peut exiger satisfaction sur le patrimoine du débiteur.

Cette satisfaction porte sur les biens du débiteur qui ne sont pas grevés de droits de gage. Elle peut porter aussi sur le solde éventuel subsistant à la suite de la réalisation d'un gage39. Elle n'intervient pas exclusivement en faveur du créancier poursuivant. Tous les créanciers d'un débiteur sont sur pied d'égalité, á moins de bénéficier d'un privilege (un droit de gage ou un privilège attaché à la créance)40. Dès lors, tous les créanciers participent à une telle vente, à moins qu'ils n'aient déjà été couverts, par exemple en vertu d'un droit de gage. Si l'exécution forcée est spéciale, ils participent à la saisie. Si l'exécution forcée est générale, ils participent, avec tous, à la faillite, ce qui est le cas dans notre texte.

Le patrimoine du débiteur sera donc vendu. Cette vente peut intervenir en bloc ou par article, en fonction de l'époque et du droit applicable, que nous n'examinons pas ici. Le principe est toujours le même, c'est celui de la faillite à laquelle les créanciers concourent, ce qu'on appellera le concursus creditorum41. Le terme Konkurs employé en allemand et mentionné déjà plus haut désigne bien la situation, mieux que faillite, fallimento ou Insolvenz. Les créanciers concourent, chacun en proportion de sa ou de ses créances. Le texte précise: à parts égales, en proportion de la dette - aequali portione pro rata debiti quantitate.

N'étant pas privilégiés les uns par rapport aux autres, tous les créanciers sont sur pied d'égalité. Le texte précise bien: omnibus - tous. Il n'y a pas alors de raison, de cause juridique, de traiter mieux un créancier que les autres. Chacun a droit, au maximum, au montant de sa créance. Si le produit de la vente du patrimoine du débiteur ne permet pas de couvrir entièrement chaque créance contre le débiteur, il convient de les réduire proportionnellement42. La réduction se fait dans les mêmes proportions pour chaque créance contre le débiteur; le créancier regoit alors, comme on dit de nos jours, un dividende.

Le texte ne l'évoque pas, mais il se pourrait quand-même qu'il y ait des privilèges en faveur de l'un ou de l'autre créancier non garanti par gage. Mis à part la créance garantie par gage, le droit romain connaît des créances privilégiées comme nos droits actuels. Ce ne sont pas des privileges en vertu du temps, car la priorité dans le temps vaut pour les droits réels, mais non pour les droits personnels43. Cependant, un privilège peut exister éventuellement en vertu du titre de créance44, ce qui signifie que l'ordre juridique entend protéger spécialement telle créance; et si plusieurs créanciers ont une créance du même type, ils concourent aussi entre eux à égalité45.

En deux paragraphes, le texte du Code de Justinien 7,72,6 rappelle des principes centraux du droit. Il illustre parfaitement le droit réel et les pouvoirs qui en découlent. Il montre plus particulièrement ce qu'est le droit de propriété et ce que permet le droit de gage. Il illustre également le droit personnel, en particulier la position du créancier face à son débiteur. Il montre que les obligations passent aux héritiers et exprime ainsi une règle de base du droit des successions. Il montre enfin le principe de la faillite dont le but est de satisfaire les créanciers non privilégiés qui se trouvent tous sur pied d'égalité, au moins proportionnellement à leurs créances. La véritable nature des droits se révèle dans l'exécution forcée.

Aussi court qu'il soit, ce texte des empereurs Dioclétien et Maximien montre les principes fondamentaux du droit privé. Il est un bel exemple de l'apport que fournit le droit romain aux droits modernes - et que le récipiendaire de ce volume de mélanges a toujours su expliquer avec aisance.

 

 

1 Ne sont mises en gage.
2 Verpfändet.
3 Corpus Iuris Civilis, Tekst en Vertaling, Tome VIII, Codex Justinianus 4-8, traduit par J.E. Spruit/J.A. Ankum/C.H. Bezemer/J.M.J. Chorus/R. Forrez/W.E.M. Klostermann/E.H. Pool/E. Slob/L.C. Winkel, sous la direction de J.E. Spruit/J.M.J. Chorus/L. de Light, Amsterdam 2007.
4 αγαθός signifie bon, ήµερα signifie le jour.
5 Heikki Solin, Die griechischen Personennamen in Rom, vol. 1, 2e édition, Berlin 2003, p. 4 ss.         [ Links ]
6 Simon Corcoran, New subscripts for old rescripts: the Vallicelliana fragments of Justinian Code Book VII, Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte, Romanistische Abteilung, 126/2009, p. 401 (p. 407 ss),         [ Links ] présente un manuscrit du 11e siecle dans lequel apparaít le début du principium de ce texte. Pour Max Kaser, Das romische Privatrecht, Zweiter Abschnitt, 2e édition, Munich 1975, § 254 n. 6,         [ Links ] le texte atteste que la saisie privée, sans autorisation officielle, est inadmissible.
7 9e édition, Berlin 1915.
8 Cf. notamment Heumann/Seckel, Handlexikon zu den Quellen des römischen Rechts, 9e édition, Jena 1907,         [ Links ] á propos de ce verbe. Accurse précise: ut sua sint statim; selon l'édition du Code de Justinien avec les commentaires d'Accurse et d'Antoine Conte, Venise 1584, colonne 1812, note q.
9 Dionys de Godefroy, édition de Francis Modius/Simon van Leeuwen, Leipzig 1740,         [ Links ] remarque avec raison, en note 42, que le texte vise ici l'attribution immédiate ("statim"). Une fois que la faillite aura été liquidée et les créanciers privilégiés couverts, les créanciers non privilégiés se partageront le solde.
10 Institutes de Justinien 3,13, pr.: Nunc transeamus ad obligationes. obligatio est iuris vinculum, quo necessitate adstringimur alicuius solvendae rei secundum nostrae civitatis iura.
11 Cf. p. ex. Institutes de Justinien 4,6,1: ... per quas intendit adversarium ei dare aut dare facere oportere ... .
12 Cf. notamment Gaius Institutes 2,194, et 2,204; Institutes de Justinien 4,6, pr.-2; Institutes de Justinien 4,6,15.
13 Cette évidence découle déjá des formules d'action de la procédure formulaire, par exemple de la formule de l'action de la vente et de la formule de l'action en revendication.
14 Il convient cependant de réserver les obligations contractées en fraude des droits d'autres créanciers, dans la perspective de l'exécution forcée; les créanciers lésés peuvent alors, le cas échéant, ouvrir l'action paulienne, cf. D. 42,8,1,2 Ulpien.
15 D. 42,6,1,2 Ulpien.
16 D. 13,7,9,2 Ulpien.
17 D. 20,1,5,1 Marcien.
18 Cf. notamment D. 41,1,31, pr. Paul.
19 Cf. aussi D. 41,1,20, pr.-1 Ulpien, et D. 50,17,54 Ulpien.
20 Xeip signifie la main, γράφω signifie écrire.
21 Dionys de Godefroy, cité ci-dessus n. 9, rappelle, dans sa note 44, que les créanciers hypothécaires sont préférés aux créanciers chirographaires. Notre texte est parfois cité comme référence attestant la priorité du créancier gagiste sur le créancier chirographaire: Max Kaser, Die Interessenberechnung bei der "Vindicatio pignoris", Iura 18/1967, p. 1 (p. 7 n. 19); María de los Angeles Soza Ried, El procedimiento concursal del derecho romano clasico y algunas de sus repercusiones en el actual derecho de quiebras, Revista de estudios histórico-jurídicos 20/1998, p. 13 n. 16.         [ Links ]
22 Massimo Miglietta, Intorno al "Certum dicere" nell' "Edictum 'generale' de iniuriis", Labeo 48/2002, p. 208 (p. 236 n. 100), constate que les mots generaliter et specialiter apparaissent assez souvent ensemble dans le Code de Justinien et mentionne ce texte.
23 Cf. notamment D. 20,1,1 Papinien; D. 20,1,6 Ulpien; C. 8,13(14),2.
24 D. 22,3,2 Paul.
25 L'art. 8 du Code civil suisse a la teneur suivante: Chaque partie doit, si la loi ne prescrit le contraire, prouver les faits qu'elle allegue pour en déduire son droit. Cf. également, dans le même sens, l'art. 1315 du Code civil fran9ais.
26 Angelo Puglisi, Servi, coloni, veterani e la terra in alcuni testi di Costantino, Labeo 23/1977, p. 305 (p. 307 n. 4),         [ Links ] évoque l'emploi du mot successor, qui apparait dans ce texte, désignant la succession.
27 D. 29,2,37 Pomponius: Heres in omne ius mortui, non tantum singularum rerum dominium succedit, cum et ea, quae in nominibus sint, ad heredem transeant. Dans le même sens D. 37,1,3, pr. Ulpien; cf. également C. 8,53,15, pr.
28 D. 17,1,26, pr. Paul, concernant la mort du mandant; D. 17,1,27,3 Gaius, concernant la mort du mandataire; D. 17,2,65,9 Paul, concernant la mort de l'associé á la société simple.
29 Par exemple, D. 46,3,31 Ulpien.
30 Institutes de Justinien 3,26,10.
31 Balde et Paul de Castro mentionnent les deux, á propos de ce texte, qu'il y a confusion - en droit suisse selon l'art. 118 du Code des obligations - lorsque le créancier succêde au débiteur; selon l'édition du Code de Justinien, avec la glose d'Accurse et d'autres commentaires, en particulier d'Antoine Conte, Paris 1559.
32 Cf. C. 6,30,22,4.
33 Cf. Gaius Institutes 2,78.
34 Cf. D. 5,3,20,7 Ulpien; D. 49,14,1 Callistrate.
35 Cf. notamment D. 6,1,23, pr. Paul; D. 6,1,27,3 Paul.
36 Par exemple, D. 19,1,13, pr. Ulpien.
37 Cf. notamment Institutes de Justinien 3,14,2; D. 50,17,23 Ulpien.
38 D. 41,1,46 Ulpien.
39 C. 8,33(34),3,4b.
40 D. 42,5,32 Paul.
41 Edouard Cuq, Manuel de droit romain, Paris 1928, p. 902 ss. Gaius Institutes 3,79, évoque l'ordre adressé aux créanciers de se rassembler pour nommer un administrateur des biens du failli.
42 Dionys de Godefroy, cité ci-dessus n. 9, constate cette conclusion dans sa note 46.
43 D. 42,5,32 Paul.
44 Jacques Cujas rappelle ces privileges dans son commentaire de ce texte, tome 9/5 de ses oeuvres, éditées par Carlo Annibale Fabroto, Naples 1758, colonne 1131; il mentionne spécialement le privilege du fisc et celui de la femme pour sa dot. Il remarque encore qu'une fois que ces créanciers privilégiés sont couverts, le solde sert á désintéresser les autres créanciers en proportion de leurs créances, conformément au texte.
45 D. 42,5,32 Paul.

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