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Fundamina

versión On-line ISSN 2411-7870
versión impresa ISSN 1021-545X

Fundamina (Pretoria) vol.19 no.1 Pretoria ene. 2013

 

Quand il n'y a rien à tranmettre: le droit de la propriété intellectuelle, Atticus et la diffusion des oeuvres de Cicéron

 

 

Yasmina Benferhat

Maitre de Conférences, Université de Lorraine

 

 


ABSTRACT

This paper attempts to provide an answer to a well known question: Was Titus Pomponius Atticus, Cicero's best friend, really a professional editor? In the first part, we study his finances in order to show that he certainly did not need to earn money in this way: he was born quite rich, and became even richer. He was, eventually, one of the wealthiest men in Rome thanks to his being adopted by his uncle Caecilius. His main activity seems to have been the lending of money to cities like Sicyone, and to friends. He also owned buildings in Rome and agricultural estates in Italy. He had some hobbies, like history - he actually wrote a book and tried to convince some of his friends to write too - and books: he had a huge library and was always willing to have copies of books made for his friends by his staff of slaves well trained to do so.
The second part is a study of Cicero's letters and focuses on the part played by Atticus when Cicero wrote a book: we note that he was there at every step. First he provided ideas of subjects to write about. He tried to convince Cicero to write on geography for example, but it seems that mostly he tried to help Cicero in his political career and relationships. Then he helped Cicero by lending him reference works. And when the speech or treaty was finished, Atticus was there to launch it: he organized dinners at which lectures were given, and if the guests liked the opus, he supplied copies of it. Was it really a business? It seems it was usual to write and offer books to political relations and that Atticus'activities in that field were a matter more of friendship and passion for books (or culture) than of money. Other people, as for example Caelius and Cornificus, also asked Cicero to write books or promoted his books, without being editors or publishers. Thus Atticus was probably no professional editor, but rather the head of a literary circle at a time when the elite of Rome was waiting for great writers to equal the Greek authors in all fields.


 

 

1 Introduction

Le droit de la propriété intellectuelle est à la mode, dans les Facultés, comme dans les cabinets d'avocats. Un vrai boom, d'autant que les affaires peuvent y être d'ampleur: faux parfums, bataille homérique entre Samsung et Apple. Mais si une bonne partie du droit occidental vient de Rome, qu'en est-il du droit de la propriété intellectuelle? A en juger par le nombre de faux en circulation dans l'Antiquité classique, ce n'était pas forcément une préoccupation quotidienne. Lettres apocryphes entre Sénèque et l'apôtre Paul, lettres à la manière d'un Salluste attribuées parfois à Salluste mais peut-être bien rédigées pour deux d'entre elles au moins par un écolier d'une école de rhéteurs au Haut-Empire,1 la tragédie Octavie prêtée généreusement à Sénèque encore, les exemples ne manquent pas.

Cette circulation d'écrits plus ou moins faux était d'ailleurs rendue plus complexe par les évolutions politiques: ainsi quand Cicéron découvre avec consternation qu'une invective contre Curion, à laquelle il semble bien avoir mis la main, a été rendue publique, il prétendra que ce n'est pas de lui.2 Ailleurs il se plaint que circule sous son nom un ensemble de bons mots qu'il ne juge pas dignes de lui:3 les amateurs devraient pouvoir le reconnaître, enfin. Alors comment faisait-il pour diffuser des oeuvres qui étaient bien les siennes et qu'il tenait certes à présenter comme telles? C'est là qu'intervient Atticus:4 ce fils de chevaliers romains fut d'abord un compagnon d'etudes chez Mucius Scaevola, puis un proche de l'orateur jusqu'a sa mort en 43.

Comment cet ami de longue date a-t-il aide Ciceron? Etait-ce pour s'enrichir a titre personnel? Nous allons essayer de montrer ici qu'il ne fut pas un editeur professionnel,5 contrairement a ce qu'on affirme parfois, et pour cela nous procederons en deux temps : nous verrons tout d'abord comment Atticus prenait soin de sa fortune, et ensuite comment il intervenait dans le processus de creation litteraire de Ciceron.

 

2 Comment s'enrichir a Rome quand on est chevalier, heritier et deja tres fortune

Comment prouver qu'Atticus ne fut pas un editeur professionnel, ce qu'Elisabeth Rawson suspectait dans son remarquable ouvrage Intellectual Life in the Late Republic? Une premiere fagon de faire sera de s'interesser aux finances d'Atticus : notons qu'il part avantage par le sort, heritant tout d'abord de la fortune paternelle. Son pere est decrit par Cornelius Nepos comme ditis ut tum erant tempera,6 "riche pour l'epoque". Pas de montant precis, mais assez d'argent en jeu pour qu'Atticus en emporte une grande partie avec lui en Grece7 au moment des premieres guerres civiles en 88-86. Sa fortune personnelle fut ensuite serieusement augmentee par le testament de son oncle Cscilius8 qui le faisait son fils adoptif et lui laissa les trois quarts de ses richesses.9 Caecilius etait un preteur d'argent feroce, comme l'attestent deux remarques ironiques de Ciceron.10 Atticus se retrouva ainsi a l'automne 5811 un des hommes les plus riches de Rome avec dix millions de sesterces en plus des biens paternels.

Alors, comment entretenir un si beau patrimoine? Le biographe d'Atticus qui etait egalement son ami, Cornelius Nepos, met l'accent sur les biens fonciers et domaines agricoles comme si Atticus y avait investi tout son argent: il gomme ainsi tout ce qui pourrait se rapporter a l'usure et a la banque,12 et souligne l'aspect honorable de cette fortune en indiquant qu'Atticus ne profita jamais des proscriptions pour acquerir a bas prix des biens.13 Contrairement a Harmut Leppin14 qui considere qu'Atticus avait exerce un droit de regard sur cette biographie et n'aurait pas laisse passer quelque chose de faux, nous pensons que Cornelius Nepos, qui a acheve cette oeuvre apres la mort d'Atticus, n'a pas ete d'une exactitude parfaite, du fait de son desir de justifier la conduite de son ami face a des critiques bien presentes: ce desir l'a amene a remodeler quelque peu la description du genre de vie d'Atticus. A la fin de la Republique, la source principale d'enrichissement n'etait pas les revenus des domains agricoles possedes et confies a un intendant, le uilicus: c'etait la plus honorable, mais elle tenait plus de la mythologie que de la realite comme l'a bien montre I Shatzmann.15

En réalité, l'activite principale d'Atticus fut bien le commerce de l'argent,16 sous la forme de prets a des cites ou a des particuliers.17 Nous en avons un premier exemple avec Athenes dans sa biographie:18 il n'est pas clair si Atticus accorda un pret avec des interets ou non. En effet les manuscripts laissent a lire numquam, mais l'erudit Gottschalch, suivi par AM Guillemin dans l'edition de la CUF, a propose la correction iniquam comme si Atticus avait forcement du reclamer des interets, son evergetisme se signalant par la modestie de ceux-ci. Nous serions plutot d'avis de suivre la lectio des manuscrits en considerant qu'Atticus se montra genereux en refusant justement de preter en demandant des interets.19 C'est une tradition, encore plus vivace a notre epoque, de preter aux banquiers un grand nombre de defauts et d'abord une cupidite effrenee, mais Atticus vivait dans le monde de la Mediterranee antique, un monde ou la reputation valait bien plus que l'argent. Et Athenes n'etait pas n'importe quelle cite grecqe.

Quoi qu'il en soit, on voit Atticus preter ensuite a Sicyone, en ayant bien des difficultes a se faire rembourser,20 en 59 BC. Pour la bonne marche de ses affaires Atticus suivait de tres pres les activites du Senat21 ainsi que le taux de l'argent qui etait une donnee importante pour lui, comme nous le montre, dans la correspondance, une remarque humoristique de Ciceron22 ou une allusion tout aussi plaisante aux doigts d'Atticus habiles a compter.23 Atticus preta egalement de l'argent a des particuliers: nous avons ainsi des echos de prets consentis a Quintus, a Oppius pour le compte de Ciceron,24 ainsi qu'a d'autres personnes que l'on ne connait que de nom.25 Il etait habituel a Rome de recourir a des prets: ceux qui pretaient prenaient cependant de ce fait une importance considerable, disposant d'un levier redoutable. Il semble qu'Atticus s'en soit surtout servi pour assurer sa securite en pretant et faisant des dons a des amis de tous bords.

Autre source de revenus, Atticus avait investi une partie de son argent dans des immeubles a Rome.26 Il possedait des terres en Epire,27 dans la presqu'ile de Gallipoli et peut-etre aussi la Chersonnese de Thrace.28 Voila qui rapportait egalement de l'argent, que ce soit des loyers ou des productions agricoles. Laissons de cote la villa Tamphiliana, heritee de son oncle, qui etait sa demeure a Rome, ses deux proprietes en Italie - a Arretium en Etrurie et a Nomentum a la frontiere entre le Latium et l'Etrurie29 - et surtout sa residence la plus celebre, ou il accueillit nombre d'amis en exil ou en fuite apres la proscription de 43, et qui se situait en Epire, a Buthrote.30

Dans ces conditions, Atticus avait-il besoin de se chercher d'autres sources de revenus? Prenons les statues et les autres objets d'art qu'il faisait venir de Grece pour contenter ses relations, Ciceron31 ou Pompee:32 etait-ce des cadeaux ou des ventes reussies? Il faut se remettre dans le contexte de l'epoque: l'argent ne fait pas tout, ce qui importe ce sont les echanges de services. En ce qui concerne Ciceron, il pouvait rendre service en defendant quelqu'un en justice, il pouvait aussi dedier un ouvrage a une connaissance ou mettre en scene des proches dans un traite pour les immortaliser. Admettons donc qu'un Atticus qui vivait une bonne partie de l'annee dans le monde grec mettait a disposition de ses relations ses reseaux et son bon gout reconnu de tous pour rendre service, en procurant des statues aux uns, en faisant des arbres genealogiques33 pour les autres.

Mais un autre moyen est employe par Atticus pour faire plaisir et rendre service a ses amis: la copie de livres. Rappelons que la premiere bibliotheque publique a Rome date de 38 avant notre ere: voulue par Cesar, elle fut mise en place apres sa mort par Asinius Pollion. Mais avant il n'existait que quelques bibliotheques privees, constituees a partir du pillage de grandes bibliotheques de monarques grecs : citons la premiere, la bibliotheque des rois de Macedoine qui devint propriete de Paul-Emile et de ses fils en 168 avant JC, ensuite la bibliotheque de Sylla qui etait celle d'Apellikon a Athenes et qui devint la propriete de Faustus Sylla qui l'ouvrit a Ciceron desireux d'y consulter certains ouvrages.34 La troisieme grande bibliotheque privee a Rome etait celle de Lucullus,35 qui la laissait ouverte a tous. A cote de ces trois collections certains particuliers36 possedaient une bibliotheque plus ou moins bien fournie selon leurs centres d'interet: on connait bien celle de L Calpurnius Caesoninus Pison, le consul de 58, puisque c'est la fameuse bibliotheque des papyri d'Herculanum.37 Atticus avait la sienne et elle n'etait pas petite: pour l'accroitre il avait a sa disposition une equipe d'esclaves copistes,38 ses librarii. Quand Ciceron avait besoin d'un ouvrage, il pouvait se le faire preter par Atticus39 et comme une bibliotheque est un objet vivant Atticus completait la sienne avec des copies des oeuvres de Ciceron.

Au total, pour conclure cette premiere partie, nous avons use d'une methode chere a Ciceron dans ses discours d'avocat: nous avons essaye de jouer sur la vraisemblance en mettant en avant les activites de banquier d'Atticus. Etait-il vraisemblable qu'un homme qui maniait l'argent a grande echelle comme lui ait eprouve la necessite de completer ses fins de mois - pas tres difficiles, de toute evidence - en se faisant editeur professionnel? Etait-ce compatible avec son rang, lui qui appartenait a la gens Pomponia descendante de Pompo fils de Numa et a la gens Caecilia? On peut en douter. Mais puisque la vraisemblance est un argument discutable, passons a l'etude des sources.

 

3 Pour une revolution copernicienne

Quelle etait la place exacte d'Atticus dans le processus qui va de la creation a la diffusion d'une ceuvre de Ciceron? Le plus simple est de reprendre l'affaire du debut en nous interessant aux differentes etapes: la genese d'un sujet, l'elaboration d'une oeuvre avec recherche de la bibliographie, puis une premiere circulation de l'oeuvre plus ou moins sous le manteau pour avoir des avis, et enfin sa diffusion.

Quand Ciceron composait, ce pouvait etre sur commande ou ce pouvait etre un sujet a sa guise. Les plaidoyers d'avocat etaient souvent des oeuvres de commande, surtout dans les annees 50 au moment du premier "triumvirat" :40 une fois le discours prononce, Ciceron pouvait travailler a sa diffusion, etant entendu que la version diffusee par ecrit n'etait pas ce que tout le monde avait pu entendre au moment du proces mais un plaidoyer embelli et quelque peu modifie.41 Nous renvoyons ici a l'ouvrage classique de Jean Humbert42 paru en 1925.

Les traités pouvaient egalement etre des ceuvres de commande: ainsi en juin 51 Caelius essaie de convaincre Ciceron de lui offrir, pour ainsi dire, un livre.43 Libre a l'orateur de choisir un sujet qui soit en rapport avec la personnalite de Caelius, pourvu que celui-ci soit le dedicataire et exhibe ainsi sa proximite avec l'auteur. Quoi d'etonnant a cela? Appius Claudius composa un Liber auguralis la meme annee qu'il dedicaga a Ciceron avant de lui envoyer l'ouvrage.44 Plus tard, c'est Trebonius qui offrit un livre a Ciceron45 et sollicita de sa part la faveur suivante: etre le personnage d'un ouvrage.46 Et pourtant personne n'aurait idee de considerer Caelius ou Dolabella comme un editeur professionnel.

Mais on tire argument des demandes d'Atticus pour en faire un editeur professionnel. Examinons cependant un peu la chose : une premiere demande est evoquee dans une lettre de juin 60, quand Ciceron repond a Atticus qu'il va lui envoyer a sa demande certains de ses discours. Est-ce en vue de les diffuser a un large public? Ce n'est pas ce qui est dit: Oratiunculas autem et quas postulas etpluris etiam mittam, quoniam quidem ea quae nos scribimus adulescentulorum studiis excitati te etiam delectant.47

Te delectare: il s'agit de satisfaire l'interet d'Atticus seul. Un an plus tard, alors que le premier "Triumvirat" consterne Ciceron qui veut se tenir a l'ecart de la politique, en avril 59 Atticus semble bien demander a son ami d'ecrire un ouvrage de geographie:48 De geographia dabo operam ut tibi satis faciam; sed nihil polliceor. Magnum opus est, sed tamen, ut iubes, curabo ut huius peregrinationis aliquod tibi opus exstet.

Faut-il y voir la commande d'un editeur a l'un de ses auteurs? Ou plutot une demande a mettre sur le meme plan que celle de Caelius, a savoir celle d'un ami qui demande une marque d'amitie a un ami? Pourquoi la geographie? Sans doute parce qu'Atticus etait desireux de voir les Romains s'illustrer dans un genre qui n'avait pas encore ete aborde a Rome. Il joue alors un role d'ame de salon litteraire, mais on y reviendra. De toute fagon, Ciceron renonce bien vite a ce devoir de vacances.49 Atticus demande alors deux discours, dont manifestement un eloge50 d'un homme que Ciceron n'aimait pas. Premiere remarque: quel interet pour un editeur professionnel de commander l'eloge d'une personne qui etait manifestement un homme politique deteste de Ciceron? Un discours epideictique, soit, une oeuvre de rhetorique d'apparat, oui, mais un eloge destine a faire plaisir a une personne peu appreciee pour se la concilier?

Deuxieme remarque: on peut penser, au vu de la reponse de Ciceron qu'il s'agissait pour Atticus de ne pas laisser son ami inactif et de l'inviter a soigner telle ou telle relation a un moment ou Clodius s'agitait de plus en plus. Apres lui avoir suggere des pistes, les unes apres les autres rejetees par Ciceron, il finit par l'exhorter a un ouvrage quel qu'il soit,51 magnum quid et multae cogitationis et otii.52

En juin 56, Atticus demande manifestement a Ciceron un eloge d'Hortensius qui venait de mourir.53 Quod me admones ut scribam illa Hortensiana, in alia incidi non immemor istius mandati tui. Quel interet pour un editeur professionnel? On n'en distingue aucun; en revanche, quand on se souvient qu'Hortensius avait ete un proche d'Atticus,54 que ce grand avocat avait ete le maitre du barreau avant les succes de Ciceron et qu'il avait ete un des piliers du parti des Optimates, alors on a une demarche qui a tout son interet comme marque d'amitie, volonte de soigner deux amis qui ne s'etaient pas toujours bien entendus, et peut-etre aussi message politique. De la meme maniere, Quintus pousse Ciceron a composer un poeme dedie a Cesar55 au moment ou leurs relations sont au mieux en 54: va-t-on faire pour autant du frere de Ciceron un editeur? Non, c'est manifestement une fagon de soigner et d'entretenir les relations avec Cesar.

Beaucoup plus tard, en 45 Atticus soutient le projet d'une lettre de Ciceron a Cesar,56 probablement une lettre-programme politique pour convaincre Cesar de maintenir une Republique apres sa victoire definitive de Munda en avril. Atticus pensait-il vraiment reussir ou voulait-il seulement changer les idees de son ami, il est difficile de trancher, mais une remarque de Ciceron laisse penser qu'Atticus eut de reels espoirs quant au succes de ce projet.57 Cette lettre devait, selon Atticus, s'inspirer des lettres a Alexandre,58 mais Ciceron finit par renoncer59 a cette idee a laquelle il ne croyait guere des le depart, se montrant plus realiste qu'Atticus, d'autant que la premiere mouture avait ete critiquee par Balbus et Oppius, les fideles lieutenants de Cesar.60 Atticus revint a la charge en aout, sans reel succes. La encore, quel interet pour un editeur professionnel? Il s'agissait bien plutot d'un projet politique. On pourrait en dire autant du projet d'ouvrage envisage en juin 45 a l'intention de Dolabella qui le souhaitait vivement et sur lequel Atticus donna une fois encore son avis.61

Atticus jouait un role egalement lors de la deuxieme phase qui consistait a rassembler les sources puisqu'il pretait des ouvrages a Ciceron.62 Il intervenait aussi pour des details de la composition comme des precisions sur une date,63 ce qui etait un peu sa marotte et de fait il avait compose un liber annalis qui etait une mise au point de la chronologie de l'histoire de Rome.64 Soit dit en passant, lorsque nous aidons des amis en leur envoyant la photocopie d'un article ou d'extraits d'un livre qui ne sont pas a leur disposition la ou ils sont, sommes-nous des editeurs professionnels? Non, bien entendu. Atticus etait egalement la pour donner un point de vue sur des aspects de la redaction65 comme le choix de telle ou telle personnalite comme porte-parole dans un traite.66 Mais il n'etait pas le seul: ainsi, Salluste propose lui aussi un changement dans le De Re publica, au cours d'une lecture de l'ouvrage dans la villa de Tusculum.67

Arrivons a la diffusion des oeuvres. Il faut distinguer deux etapes: dans un premier temps Ciceron confiait manifestement son oeuvre achevee a Atticus pour que ses librarii preparent une copie au propre,68 ce qui se dit en latin describere.69 C'etait un moment delicat ou Ciceron pouvait realiser qu'il avait oublie quelque chose70 et le faire corriger en urgence71 par Atticus, par exemple, mais delicat aussi parce que certains proches ou pseudo-proches en profitaient pour aller lire chez les copistes d'Atticus le nouvel ecrit de Ciceron. J'ai cite precedemment le cas des critiques de Balbus et d'Oppius qui se firent dans la plus grande discretion en fait dans la mesure ou ils jugerent chez Atticus du premier jet de Ciceron. Mais cela pouvait etre plus ennuyeux comme on le voit avec Cerellia,72 une pretendue proche de Ciceron qui obtient a force d'audace une copie d'un ecrit encore garde dans l'atelier avant diffusion.

Une fois la nouvelle oeuvre mise au propre, si l'on ose dire, et definitivement achevee, Atticus jouait encore un role essentiel en faisant gouter I'opus nouveau a des hotes lors de diners organises chez lui a Rome. On sait grace a son biographe, Cornelius Nepos, qu'un des grands plaisirs d'Atticus etait de proposer ces lectures a des invites choisis avec soin. Ciceron y fait allusion en 45 lorsqu'Atticus fit lire le Pro Ligario dans sa villa: Ligarianam praclare uendidisti. Posthac quicquidscripsero, tibipraconium deferam.73

Vendere, pris au premier degre, pourrait faire croire qu'Atticus etait un editeur professionnel. En fait, cet extrait appelle deux remarques qui vont contre l'idee qu'Atticus ait fait commerce de livres: la premiere se rapporte au verbe uendere qui a en latin les deux sens du frangais "vendre", a savoir vendre pour de l'argent et d'autre part vanter quelque chose, sens figure. Or, la suite du passage - avec prsconium qui designe l'office de crieur public et renvoie a l'idee de louange par la suite - nous invite a preferer le sens figure de uendere.

Deuxieme remarque: Ciceron reconnait ici qu'il a fait appel precedemment a d'autres personnes, et nous avons dans la correspondance un exemple de ce cas de figure. Ciceron ecrit en septembre 46 a Q Cornificius, son collegue au college des augures,74 sans doute du fait de ses liens avec le camp cesarien: Huic tu libro maxime uelim ex animo, si minus, gratia causa suffragere; dicam tuis ut eum, si uelint, describant ad teque mittant.75 Dans ce passage, nous avons les deux phases de la diffusion d'une oeuvre: tout d'abord le verbe describere76 qui signifie transcrire, copier, et ensuite suffragari qui exprime l'idee de faire campagne pour quelque chose ou quelqu'un. Nous trouvons dans la correspondance deux synonymes de suffragare, edere qui n'apparait qu'une fois,77 et peruulgare, qui revient assez souvent:78 ces deux verbes renvoient a la pratique des lectures publiques faites par celui dont les librarii avaient recopie le texte, et a l'usage d'un public choisi.

Cela nous est clairement atteste dans certaines lettres de Ciceron,79 dont une particulierement explicite: Hunc tu tralatum in macrocollum lege arcano conuiuiis tuis, sed, si me amas, hilaris et bene acceptis, ne in me stomachum erumpant cum sint tibi irati.80 Cicéron emploie ici un ton plaisant pour decrire ce que nous avions vu dans la biographie de Nepos: l'habitude qu'avait Atticus de faire lire un texte a ses convives au cours des diners mondains qu'il organisait dans sa villa du Quirinal. En meme temps, il nous renseigne sur la maniere de faire connaitre une ceuvre, une fois que son auteur l'avait achevee et avait donne l'autorisation de la diffuser. Si le livre avait plu, les convives demandaient a le faire recopier81 et l'envoyaient a leurs connaissances et on est arrive ici a la derniere etape, autrement dit la diffusion d'une oeuvre au sens large. Ajoutons que c'etait parfois l'auteur lui-meme qui insistait pour faire connaitre ses ceuvres: ainsi Ciceron, en pleine operation de relations publiques pour faire briller son consulat,82 insiste aupres d'Atticus pour que celui-ci fasse connaitre son De Consulatu.

Nous esperons avoir demontre qu'Atticus n'etait pas un editeur professionnel en nous appuyant sur l'ensemble du corpus de la correspondance. En effet, c'est en se limitant aux lettres a Atticus que l'on ne prend pas garde a la demande de Caelius ou de Trebonius qui offrent pourtant un eclairage essentiel. C'est en se limitant a une certaine periode de la correspondance que l'on ne voit pas les demandes repetees d'Atticus d'ouvrages qui ne sont pas vraiment des succes d'edition annonces, mais bien plutot des gestes d'amitie publique ou des manoeuvres politiques. Chemin faisant, nous avons pu aussi constater a quel point le droit d'auteur est absent du processus de creation, sauf quand une Cerellia passe par la: et encore c'est Atticus qui se fait disputer, mais l'ouvrage a bien ete copie sans moyen de le rattraper. Fait-on de Pline le Jeune un editeur professionnel parce qu'il donne des conseils et demande a tel ou tel de lacher enfin son poeme?83 Non, mais c'est Pline le Jeune, et Atticus est un horrible banquier? Mais Atticus est du meme milieu que Pline ou que Ciceron: a la verite, c'est a une revolution copernicienne que notre etude tend, en plagant Atticus au centre de la vie litteraire de son epoque et en considerant Ciceron comme une etoile, certes la plus belle si l'on veut, mais une etoile parmi d'autres dans la lumiere des conseils et de l'aide d'Atticus. Ne parlons plus comme Gaston Boissier des amis de Ciceron, mais bien des amis d'Atticus

 

 

1 Voir R Syme Sallust (Berkeley, 1964).
2 CfAtt 3 12 2 (juillet 58).
3 Cf Fam 7 32 1 (lettre à P Volumnius Eutrapelus, fin 51 ou début 50).
4 Il existe plusieurs biographies d'Atticus: citons P Grimal Mémoires de T. Pomponius Atticus (Paris, 1976);         [ Links ] RJ Leslie The Epicureanism of Titus Pomponius Atticus (Thèse de l'Université de Philadelphie, 1950);         [ Links ] E Marshall A Biography of Titus Pomponius Atticus (Ann Arbor, Mich, 1986);         [ Links ] O Perlwitz, Titus Pomponius Atticus. Untersuchungen zur Person eines einflussreichen Ritters in der ausgehenden rômischen Republik (Stuttgart, 1992) et H Ziegler Titus Pomponius Atticus als Politiker (Thè         [ Links ]se de l'Université de Munich, 1936).         [ Links ] Nous avons également consacré le troisième chapitre de notre thèse à Atticus: Ciues Epicurei (Bruxelles, 2005) en 98-172.
5 Le débat sur les activités d'éditeur, réelles ou supposées, d'Atticus commence vraiment avec R Sommer "T. Pomponius Atticus und die Verbreitung von Ciceros Werke" (1920) 41 Hermes 389-422 et a é         [ Links ]té illustré en particulier par les thèses de G Cavallo Libri, editori e pubblico nel mondo antico (Bari, 1975) (à         [ Links ] compléter par "Libri scribi scritture a Ercolano", Cronache Ercolanesi 13, suppl, 1983) qui est convaincu qu'Atticus fut un éditeur. En revanche, E Rawson est plus sceptique: voir Intellectual Life in the Late Roman Republic (Londres, 1985).         [ Links ] Voir également JJ Philipps "Atticus and the publication of Cicero's works" (1986) 79 Classical World 227-237. Les synthèses les plus récentes sont les suivantes: A Dortmund Rômisches Buchwesen um die Zeitenwende. War T. Pomponius Atticus (110-32 v. Chr.) (Wiesbaden, 2001) qui conclut qu'Atticus ne fut pas un éditeur, et M Buckley "Atticus, man of letters, revisited" in Pleiades Setting. Essays for Pat Cronin on his 65th Birthday K Sidwell (éd) (University College Cork, 2002) 15-33 qui fait un tour trè         [ Links ]s complet de tous les liens d'Atticus avec la littérature (ses goûts, ses œuvres, son activité d'éditeur).
6 Cf Nepos Att 1 2.
7 Voir à ce sujet AM Marshall "Atticus and the eastern sojourn" (1999) 58 Latomus 56-68.         [ Links ]
8 RE 23.
9 Cf Nepos Att 5 2.
10 Cf Cicéron Att 1 12 1.
11 Idem 3 20 1-2.
12 Nepos Att 14 3.
13 Idem 6 3.
14 Voir H Leppin "Atticus - zum Wertewandel in der spàten rômischen Republik" in Res publica reperta, Festschrift Jochen Bleicken J Spielvogel (éd) (Stuttgart, 2002) 192-202.         [ Links ] La biographie de Cornelius Nepos consacrée à Atticus a été étudiée également par K Buchner "Die Atticusuita des Cornelius Nepos" (1949) 56 Gymnasium 100-121; H Lindsay "The biography of Atticus: Cornelius Nepos on the philosophical and ethical background of Pomponius Atticus" (1998) 57 Latomus 324-336;         [ Links ] F Millar "Cornelius Nepos,'Atticus', and the Roman Revolution" (1988) 35 G&R 40-55.
15 Voir son livre Senatorial Wealth (Bruxelles, 1975).
16 Voir O Perlwitz (n 4) supra.
17 Sur la pratique du prêt à Rome, voir la thèse de J Andreau La vie financière dans le monde romain (Rome, 1987), ainsi que son ouvrage Banque et affaires dans le monde romain (Paris, 2001) et I Shatzmann (n 15) 75-83 et 135-142.
18 Nepos Att 2.
19 Là-dessus nous avons nuancé notre avis dans notre précédent travail sur Atticus "Un curieux sens des obligations: le cas Atticus" (2012) 18(2) Fundamina 1-10.
20 Cf Cicéron Att 1 13 1, 1 19 9, 2 1 10, 2 13 2, 2 21 6 (en 61-60).
21 Idem 1 19 9. Cf également idem 1 20 4.
22 Idem 4 15 7. L'oncle d'Atticus, quant a lui, etait un usurier feroce, mais Ciceron evite soigneusement d'user a propos de son ami du terme fenerator: il cree un neologisme tocullio, au sujet toujours de Sicyone, cf idem 2 1 12.
23 Idem 5 21 13.
24 Idem 5 4 3 et 5 5 2 (mai 51).
25 Idem 4 7 2.
26 Idem 7 17 1.
27 Voir E Deniaux "Atticus et l'Epire" in L'Illyrie et I'Epire dans l'Antiquite P Cabanes (ed) (Clermont-Ferrand, 1987) en 245-254.
28 Voir JM Roddaz M. Agrippa (Rome, 1984) en 234sqq.
29 Cf Nepos Att 14 3.
30 Ciceron Att 1 5 7 (cette lettre date de la fin 68 ou du debut de 67).
31 Idem 1 3, 1 4 1, 8 1 9 et 1 10.
32 Idem 4 9 1.
33 La-dessus voir AJ Marshall "Atticus and the genealogies" (1993) 52 Latomus 307-317 et M Buckley "Atticus, man of letters, revisited" en 22-23.
34 Cf Cicéron Att 4 9 (en 55).
35 Cf Plutarque Luc 42 1. Voir K Dix "The library of Lucullus" (2000) 88 Athenaeum en 441-464.
36 Un exemple parmi d'autres: Ser Claudius (cousin de L Papirius Paetus) qui lègue ses livres à Cicéron, cf Cicéron Att 1 20 7 et 2 1 12. Quintus Cicéron avait une bibliothèque lui aussi, cf Cicéron Att 2 3 4 et Q Fr 3 4 5 (octobre 54).
37 Voir M Gigante La bibliothèque dePhilodème et l'épicurisme romain (Paris, 1987).
38 Certains d'entre eux sont cités nominalement dans la correspondance: Musca, qui semble avoir été le chef de l'équipe (Cicéron Att 12 40 1), Pharnace (idem 13 44 3 et 29 3), Anteus (idem 13 44 3) et Salvius (idem 9 7 et 13 44 3). L'avantage était de se garantir des ouvrages sans fautes, alors que c'était fréquent: cf Q Fr 3 5 6. Atticus avait également des esclaves entraînés à organiser et ranger une bibliothèque, comme celle de Cicéron: cf Cicéron Att 4 5 3 et Att 4 8 2 (Denys et Ménophile).
39 Idem 2 4 1: Atticus envoie à Cicéron le livre du géographe mathématicien Sérapion d'Antioche. Idem 2 22 7 (été 59) avec les ouvrages du poète Alexandre.
40 Voir à ce sujet la très instructive lettre à Lentulus (Fam 1 9) connue comme la palinodie de Cicéron, en décembre 54.
41 Le cas le plus célèbre est le Pro Milone, cf Plutarque Cic 47.
42 Voir J Humbert Les plaidoyers écrits et les plaidoiries réelles de Cicéron (Paris, 1925).
43 Cf Cicéron Fam 8 3 3. Plus tard, ce fut Dolabella qui souhaita semblable faveur, cf Cicéron Att 13 10 2 et 14 2.
44 Cf Cicéron Fam 3 4 1.
45 Idem 15 21 1-3 (en 46).
46 Idem 12 16 4 (25 mai 44).
47 Cf Cicéron Att 2 1 3.
48 Idem 2 4 3.
49 Idem 2 6 1 et 2 7 1.
50 Idem 2 7 1.
51 Idem 2 12 3 et 2 14.
52 Idem 2 14 2.
53 Idem 4 6 3.
54 Cf Nepos Att 5 4.
55 Cf Q Fr 3 7 6.
56 Cf Cicéron Att 13 26 2.
57 Idem 12 51 2.
58 Idem 13 28 2-3. Un autre modèle était peut-être une oeuvre de Varron destinée à Pompée.
59 Idem 13 31 3.
60 Idem 13 2 et 13 27 1.
61 Idem 13 10 2: Atticus conseille un sujet "plutôt général et plutôt politique" (CUF) en accord avec la personnalité de Dolabella. Il s'agit d'un avis amical à propos d'une démarche qui devait embarrasser un peu Cicéron après la mort de Tullia: il valait mieux rester en bons termes avec un des lieutenants de César parmi les plus en cour.
62 Idem 13 8 et 32 2. Cicéron demande même l'accès à la bibliothèque d'Atticus en son absence, cf idem 4 14 1 (mai 54).
63 Idem 1 13 5. Ailleurs il intervient sur un détail de géographie, cf 6 2 3 (mai 50). Il était aussi pointilleux pour des questions de stylistique, cf 7 3 10. Cicéron lui demande à l'occasion des précisions sur la biographie de tel ou tel, cf 12 20 2 et 22 2 (mars 45) ainsi que 12 24 2, ou sur tel événement cf 12 23 2 (l'ambassade des philosophes athéniens en 154).
64 Voir F Munzer "Atticus als Geschichtsschreiber" (1905) 40 Hermes en 50-100.         [ Links ]
65 Une des lettres les plus intéressantes porte sur la composition du De republica on voit Atticus regretter que le personnage de Mucius Scaevola ne paraisse qu'un moment, et il semble demander à Cicéron de faire intervenir Varron à un moment, cf Cicéron Att 4 16 2-3.
66 Idem 12 12 2 et 13 16 1. Essentielle est la lettre du 29 juin 45 dans laquelle Cicéron aborde la question du choix des personnages dans ses traités: cf idem 13 19 35.
67 Cf Q Fr 3 5 1-2.
68 Cf Cicéron Att 4 13 2: Cicéron confie les trois livres du De Oratore à Atticus (describas licet).
69 Idem 2 20; 4 B, 8 9 1, 12 14.
70 Ainsi lorsqu'il réalise qu'il s'est trompé de préambule, cf idem 16 6, ou quand il confond Eupolis avec Aristophane, cf idem 12 6a 1.
71 Cf idem 13 44 3 pour une erreur dans le Pro Ligario.
72 Idem 13 21a et 13 22 3 (été 45). Un autre cas ennuyeux se pose, dans les mêmes lettres, quand une autre personne que le dédicataire a accès à l'ouvrage avant lui : Balbus a un exemplaire non corrigé parce qu'il a fait recopier chez Atticus le livre 5 du De Finibus que Cicéron a fait corriger par la suite, et Brutus le dédicataire risque de ne pas avoir la primeur.
73 Idem 13 12 2.
74 RE 7: il fut préteur en 66, cf MRR 2 en 152.
75 Fam 12 17 2: "Je serais très désireux que tu fasses campagne pour ce livre, en toute sincérité ou, sinon, à titre de faveur ; je dirai à tes gens de le copier, s'ils le veulent, et de te l'envoyer."
76 Cf Cicéron Att 4 13 2 et 13 21a 1 et 2.
77 Ce mot signifie "mettre au jour, publier", cf A Ernout & A Meillet Dictionnaire étymologique de la langue latine (Paris, 1967) en 180. Il pourrait induire en erreur, mais les deux verbes qui suivent dans la lettre, diuulgare et describere, montrent bien, selon nous, qu'il s'agit toujours de la même démarche, sans idée de commerce.
78 Cf Cicéron Att 12 45 2; 13 21a 1; 13 20 2.
79 Idem 13 20 2.
80 Idem 16 3 1.
81 Cf Fam 15 20 1 (décembre 46?): Trebonius a demandé une copie de l'Orator. Autre exemple, Lepta a une copie de l'Orator, œuvre qu'il apprécie manifestement beaucoup, chez lui: cf idem 6 18 4.
82 Cf Cicéron Att 2 1: "tu, si tibi placuerit liber, curabis ut et Athenis sit et in ceteris oppidis Graeciae."
83 Cf Pline le Jeune Epist 2 10 à Octavius.

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