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Tydskrif vir Letterkunde

versão On-line ISSN 2309-9070
versão impressa ISSN 0041-476X

Tydskr. letterkd. vol.60 no.2 Pretoria  2023

http://dx.doi.org/10.17159/tl.v60i2.16208 

RESEARCH ARTICLES

 

Les traductions des œuvres littéraires de langue française en Afrique du Sud

 

Translation of French-language literature in South Africa

 

 

Laude Ngadi Maïssa

PhD at the University of Lorraine in 2018. He is postdoctoral fellow in the Department of French Studies, College of Humanities, School of Arts, University of KwaZulu-Natal, Pietermaritzburg. Email: laudengadi@gmail.com; https://orcid.org/0000-0002-0561-818X

 

 


ABSTRACT

Taking up the subjects of study of the Nouveaux Cahiers de l'IFAS devoted to "ten years (1994-2004) of literary exchanges between South Africa and France", the article analyses the strategy and role of translators of French-language literatures in South Africa. Using the tools of the sociology of translation, I show how the works of French-speaking authors fit into the South African literary circuit while establishing a form of continuity of the literary Francophonie. By means of a survey, I establish a bibliography of seventeen translated works and, by exchanges with the translators and the consultation of various types of documentary sources, I specify the role of the various literary, cultural, and political agents in the production of these translations. I note that the translations, mainly carried out by academics, are published with the support of French institutions. Works translated into English are generally related to challenging the global hegemony of this language; those translated mainly into Afrikaans are also explained by the identity and linguistic affirmation of the translators. The latter, often members of the academic body, sought to testify to the French presence in the history of South Africa and confirmed, through the choice of works, the domination of a European literary canon. Retranslation is one of the factors that explains the continuity of an Occidental historical canon, while the limited number of translations of works by African writers also highlights the absence of translations into continental languages, Bantu, etc.

Keywords: translation, sociology of translation, South Africa, French-speaking world, languages.


 

 

Introduction

L'ambition modeste de cet article est de prolonger la réflexion à propos des "dix ans d'échanges échanges littéraires entre l'Afrique du Sud et la France" proposée par Les Nouveaux Cahiers de l'IFAS (Richard et Godwin) en 2005. L'ouvrage analyse les stratégies de traduction et le rôle des traducteurs des œuvres de la littérature africaine en général et sud-africaine en particulier. Aurelia Wa Kabwe-Segatti et Denise Godwin, auteurs de la préface du volume, insistent notamment sur le fait que les dix années de la période post-apartheid (1994-2004) furent marquées par "une augmentation sans précédent non seulement des traductions d'auteurs sud-africains vers le français, mais aussi, dans une moindre mesure certes, d'auteurs francophones diffusés en Afrique du Sud" (3). L'objet de l'étude devrait ainsi concerner autant les intraductions que les extraductions. Mais à y regarder de près, le contenu des articles et la bibliographie générale établie par Jean-Pierre Richard, lui-même traducteur de plusieurs œuvres sud-africaines vers le français, ne mentionnent pas les traductions de langue française en Afrique du Sud comme on pouvait l'attendre. Mon étude veut pallier cette absence en reprenant le sujet de l'étude qui consiste selon Richard à "voir comment naissent les traductions" et à "savoir qui les conçoit, qui les pousse, qui les étouffe" (12). En d'autres termes, je m'intéresse aux facteurs qui déterminent la production de ces traductions et aux agents individuels ou structurels à l'initiative de la chaine de production de ces traductions, c'est-à-dire aux différents acteurs qui, selon John Milton et Paul Bandia, "peuvent être des producteurs de textes, des médiateurs qui modifient le texte comme ceux qui produisent des résumés, des éditeurs, des réviseurs et des traducteurs, des commissaires et des éditeurs", mais également des "mécènes, des organisateurs de salons, des politiciens ou des entreprises qui contribuent à changer les politiques culturelles et linguistiques", ou encore "des magazines, des revues ou des institutions"(1)1

Dans ce cadre, mon étude de sociologie de la traduction vise un objectif double. D'une part, il s'agit d'établir une bibliographie des œuvres littéraires traduites tout en cherchant à savoir ce "qui justement conditionne, canalise et dirige, sur ce qui est préalable, sur les mécanismes et motivations de réception et de sélection" (Keil 35). Dans cette perspective, je cherche à saisir principalement le rôle du traducteur en tant qu'"agent [qui] peut souvent jouer un rôle important, à la fois politiquement et culturellement dans la société donnée" (Milton et Bandia 1). D'autre part, tout en considérant avec Christophe Pradeau et Tiphaine Samoyault que la question primordiale dans cette perspective "n'est pas alors [:] pourquoi traduit-on quelque chose plutôt que rien, mais pourquoi traduit-on telle ou telle chose plutôt que telle autre [?]" (7), je voudrais montrer que les traductions des œuvres de langue française dans ce pays non francophone participent à la construction d'un "système littéraire francophone" élargi au sens où, selon Pierre Halen (55-68), il s'agit de l'affirmation et de la circulation des écrivains francophones acceptant le marquage de leurs origines géographiques et culturelles, condition de leur insertion dans le champ hexagonal. Il me semble que la circulation par les traductions des œuvres en français dans ce pays, qui a fait le choix du multilinguisme après la période de l'apartheid, s'insère dans l'ambition de ses instigateurs, principalement des enseignants de langue, d'étendre la francophonie hors d'une géographie des pays de langue française. Je cherche donc à montrer comment, par l'implication des médiateurs politiques et culturels locaux, les traductions deviennent "le lieu d'expression de conflit de pouvoirs" au sens où pour Claudine Lécrivain "leurs modes d'insertion dans la production d'une communauté littéraire donnée peuvent rendre apparent son système d'organisation, ses évolutions mais également ses dilemmes, ses aspirations et ses hantises" (117).

En prenant ces deux options comme points de départ, je souhaite présenter les traductions comme une source d'enrichissement du canon littéraire du pays d'accueil qui, bien que n'étant pas dans la géographie de l'orthodoxie francophone issue de la colonisation française, constitue à l'occasion "un espace minoré en espace du mineur [en faisant] de la violence inhérente à la traduction une force positive dans un contexte de résistance à la violence historique" (Samoyault 82). L'objet du discours à propos de la résistance se rapporte ici à la volonté des traducteurs tantôt d'insérer l'espace sud-africain dans la francophonie-monde, tantôt de se repositionner vis-à-vis de l'histoire littéraire et de la politique locale. Je mènerai cette entreprise en cinq points: la présentation des moyens par lesquels, non sans difficultés, j'ai pu établir une bibliographie; l'ambition pour les traducteurs en afrikaans de se reconnecter avec une traduction rompue; l'opposition à la domination à l'anglais; la dénonciation des discriminations et l'édition locale des traductions ainsi que l'affirmation d'une francophonie hors de sa cartographie traditionnelle.

 

À propos de l'élaboration de la bibliographie

L'étude s'appuie sur la bibliographie des œuvres de langue française traduites en Afrique du Sud après 1990, que j'ai établie. Le travail de repérage et de veille documentaire s'est effectué d'une manière générale en ligne par la consultation de la presse nationale et internationale, des catalogues des bibliothèques numériques, de la base de données de l'lndex translationum de l'UNESCO et du dépouillage des deux principales revues littéraires de références sud-africaines qui publient des comptes rendus de façon régulière (French Studies in Southern Africa et Tydskrifvir Letterkunde). Pour collecter les données, j'ai également fait le tour des pages des départements de langue en consultant les curriculums vitae des collègues ainsi qu'en séjournant dans les pages d'actualité de l'ambassade de France.2

Les ressources engendrées devraient ainsi permettre d'identifier les agents ressources, de compléter et de préciser ces informations afin de produire une enquête par questionnaires. Ces derniers-adressés aux traducteurs, aux éditeurs et au service culturel de l'ambassade de France-comprenaient chacun des questions relatives aux problématiques que j'ai posées en introduction. Cette démarche fut cependant jalonnée de plusieurs obstacles: d'une part la difficulté de trouver les traces de certains traducteurs (Piet de Jager notamment, Vanessa Everson qui est à la retraite et Serge Ménager décédé), d'autre part l'absence de retour des questionnaires (un retour sur l'ensemble des agents) malgré de nombreuses relances. On peut alors penser, à la suite de Bernard De Meyer à propos de son enquête auprès des éditeurs africains, que "les gens n'aiment pas trop répondre à un interrogatoire de recherche d'un inconnu" (38).

Toutefois, le bilan ci-après se veut complet, mais sans prétention à l'exhaustivité. Bien que des oublis puissent exister en raison des contraintes imposées par les difficultés du terrain, le nombre relativement restreint de traductions ci-après n'enlève rien à la représentativité d'un corpus significatif pour une étude scientifique. Aussi, pour rester dans l'esprit du volume de référence qui fonde cette étude, il n'a pas été tenu compte des traductions de la bande dessinée, des ouvrages scolaires et des extraits publiés dans des revues ou effectués pour les besoins de manifestations culturelles ou festivalières. Les principaux critères de choix étaient donc que les textes d'origine (théâtre, poésie, roman) soient de langue française et qu'ils aient paru dans les maisons d'édition commerciales en Afrique du Sud. Les entrées du tableau ci-dessous sont constituées par les noms des traducteurs, leurs fonctions, les références des titres originaux en français, celles des traductions et la langue. Le cas échéant, je mentionne les noms des collaborateurs à la suite de celui du traducteur principal.

 

Chiffre 1

 

Les commentaires qui suivent s'appuient sur des exemples significatifs données par les traducteurs eux-mêmes ou par la critique.

 

"Renouer" avec une tradition disparue

L'urgence de reproduire, par un geste mimétique, une tradition interrompue des traductions d'œuvres françaises en Afrique du Sud apparaît comme le premier enjeu des traducteurs. Comme l'explique Jaco Alant dans un article consacré à la littérature en langue afrikaans, la démarche des traducteurs est une suite de l'héritage de leurs prédécesseurs, "[fjrancophiles convaincus" (68) qui se sont dévoués à traduire en afrikaans les textes d'auteurs français. Le geste des traducteurs de l'actuelle bibliographie consiste donc à prolonger "le corpus de traductions littéraires en afrikaans des textes de Camus, Duras, Colette, Simenon et de Saint-Exupéry" comme le note Naòmi Morgan ("Afrikaans-Français aller-retour: d'un Prix Nobel aux chansons") à propos du collectif d'écrivains au sein duquel on retrouve André Brink, Breyten Breytenbach, Uys Krige, Jan Rabie, Bartho Smith (voire également la liste établie par De Meyer à propos des traductions en afrikaans des œuvres de Maupassant, "Afrique du Sud-Afrikaans" 238-9), etc. A ce titre, elle affirme, dans l'article qu'elle consacre à la traduction de l'œuvre de Le Clézio, qu'"il s'agissait pour la traductrice et auteure [...] de renouer avec une tradition de traduction établie par la 'génération de I960'", avant d'ajouter que "[d]epuis lors, la traduction entre l'afrikaans et le français se fait davantage dans un sens unique, vers le français, à partir du texte afrikaans (grâce surtout à des traducteurs belges)" ("Aller-retour"). Retenons dans ce passage la volonté de faire renaître une pratique traductologique des pionniers dans une langue locale et la rupture avec un système d'échange unilatéral des traductions entre la France et l'Afrique du Sud. En commentant la traduction en afrikaans dUn an de Echenoz, une chroniqueuse qui se fait appeler Klara Majola indique que la maison d'édition Prague vient renouer une tradition à travers laquelle "de nombreux livres d'importance internationale étaient traduits en afrikaans". La revendication de cet héritage se présente autant comme la contestation d'une hégémonie dans la circulation des littératures que comme une volonté de perpétuer une action en voie de disparition. Dans nos échanges, Henning Pieterse affirme en ce sens que: l'"afrikaans a une riche tradition de traductions d'auteurs/de textes de renommée mondiale-du moyen néerlandais, du moyen anglais, du néerlandais, de l'allemand, du français, du russe, du suédois, de l'isiZulu, du sepedi, du setswana, de l'isiXhosa, du sesotho, etc." (Ngadi Maïssa et Pieterse). Celui-ci tient donc à se situer dans le sillage de ces figures de proue ayant, avant lui, traduit dans sa langue maternelle, les littératures d'autres langues locales ou internationales. Néanmoins, le choix particulier de l'afrikaans, pour le cas qui m'occupe, me fait dire que les traducteurs pérennisent cette pratique qui s'interrompt véritablement durant les années sombres de l'apartheid, période durant laquelle les positions politiques officielles constituaient un frein à la circulation du livre et des biens culturels entre les deux pays, afin de réagir à la minoration de cette langue dans les échanges relatifs à la traduction (De Meyer, 238-9). Die klein prinsie d'André Brink est de fait une retraduction en afrikaans du Petit prince d'Antoine de Saint-Exupéry, l'ouvrage étant déjà traduit dans la même langue et sous le même titre par J. P. L. Krige en 1957 (voir Petit prince collection: "9 livres en afrikaans"). L'édition en afrikaans de L'Étranger de Camus est une démarche similaire d'autant plus que Dan Roodt reprend un texte déjà traduit en 1966 par Jan Rabie. Le but du traducteur est ici de bonifier la version de son devancier mais également d'inscrire la retraduction en afrikaans de ce succès mondial dans la lignée de celle faites dans les principales langues de traduction comme le souligne Morgan à propos de sa retraduction du même texte pour le compte d'un spectacle du Free State Arts Festival:

Les recherches que nous avons menées au Département de français en préparation d'une encyclopédie des traductions littéraires dans la paire de langues français-afrikaans ont montré qu'une langue jeune comme l'afrikaans a peu de retraductions, surtout comparée aux grandes langues de traduction comme le polonais, le hongrois, l'anglais et hébreu. Ces langues comptent souvent jusqu'à 15 traductions d'un même texte, alors que nous n'avons pu localiser aucun texte français dont il existait plus de deux traductions en afrikaans. L'un d'eux était Le Petit Prince, car la traduction de Brink n'était pas la première-JPL Krige l'avait déjà traduite en 1957. Cependant, deux traductions représentaient encore une maigre récolte pour une conférence sur la retraduction. Je me suis alors souvenu de mon vieux rêve de traduire le texte, puis je l'ai lié à deux projets: les sous-titres afrikaans pour le film de Marc Osborne de 2015 et une nouvelle traduction afrikaans du texte source en tant que production artistique au Free State Arts Festival. Alors que la traduction de Brink est avant tout une traduction 'silencieuse' pour les lecteurs, ma traduction a été réalisée pour être lue à haute voix par un artiste de mots. (Morgan et Meyer)

 

Traduire pour lutter contre la domination de l'anglais

Pourquoi traduire des œuvres depuis le français? Les raisons apparentes sont la lutte des langues et l'affirmation identitaire. La situation linguistique de l'Afrique du Sud est en effet particulière: le pays compte 12 langues officielles; les deux principales langues de circulation de la littérature sont l'anglais et l'afrikaans (Chevrier, Lelong, Wade et Mauguière 16). A l'observation, les traductions sont essentiellement faites vers une seule de ces langues, l'afrikaans, qui a bien sûr une histoire différente des autres langues sud-africaines, particulièrement celles des peuples autochtones, bantus. Les traducteurs se positionnent contre l'impérialisme des traductions en anglais tout en insistant sur l'importance de situer leurs choix par rapport aux conditions du marché du livre et aux problématiques de sociétés inhérentes au territoire sud-africain. Morgan affirme par exemple que dans "le cas de L'Africain, la traductrice (de mère afrikaans et de père anglais) a d'abord essayé d'obtenir les droits de traduction en anglais", mais face au "refus de l'auteur" qui "se réserve la traduction de ce 'texte-charnière' en anglais", elle s'est tournée vers "la traduction afrikaans [qui] est le seul accès des lecteurs afrikaans, même bilingues, à ce texte primordial qui a modifié la lecture et l'analyse des textes lecléziens" ("Aller-retour"). Dans ce cas précis, la traduction en afrikaans intervient par défaut. Elle montre aussi que pour l'auteur, l'anglais est la langue de la visibilité par excellence dans la mesure où, selon Gisèle Sapiro, la "production en anglais détient désormais le quasi-monopole de la littérature à grande diffusion, best-sellers, littérature populaire, roman sentimental, thrillers" (458).

Traduire en afrikaans est, pour Morgan, une manière de faire circuler le texte localement et de revendiquer pour elle et pour le canon littéraire sud-africain, le plurilinguisme ("JMG Le Clézio se L'Africain praat Afrikaans"), les valeurs démocratiques et l'altérité identitaire comme elle le défend dans les passages suivants. Elle souligne qu'elle se détourne de la traduction en anglais parce que le roman de Le Clézio a plusieurs résonances avec des œuvres d'écrivains Afrikaners. Aussi, pour elle, le titre traduit, Die Afrikaan, "fait écho à un essai socio-politique de Frederik van Zyl Slabbert, fondateur de l'Institut pour une alternative démocratique pour l'Afrique du Sud ou IDASA, intitulé Afrikaner, Afrikaan (1999)" ("Aller-retour"). Dans le même sens, elle précise dans un entretien avec Hadrien Diez qu'il existe des similitudes entre cette œuvre de Le Clézio et celles de certains écrivains sud-africains: "Je peux voir des parallèles clairs avec l'auteur afrikaans Elsa Joubert. Comme Le Clézio, elle combine écriture de voyage et quête de soi". La traduction sert ici à enrichir un canon littéraire des auteurs locaux de la langue cible en trouvant des équivalences multiculturelles et poétiques avec les œuvres sources.

On notera également que ces traductions sont conjoncturelles au fait que "le nombre de traductions de livres du français vers d'autres langues [ait] repris sa courbe ascendante" (Sapiro 460). Les traducteurs profitent de cet effet de marché. Ils relocalisent alors les œuvres de langue française pour contrecarrer l'allant de la langue anglaise. C'est notamment ce qui justifie chez Morgan le dessein de traduire sans passer par une langue intermédiaire, par "le biais d'une traduction anglaise" ("Aller-retour") en l'occurrence. La préférence pour le français permet non seulement de lutter contre la langue "dominante mondialement", pour reprendre les termes de Pascale Casanova (17) et des valeurs commerciales qu'on lui associe, mais également d'offrir un gage de qualité. C'est du moins ce que Pieterse affirme, dans nos échanges, afin de justifier sa traduction en afrikaans, qui serait meilleure que les versions anglaises-je pense notamment à The Art of Struggle par Timothy Mathews et Delphine Grass en 2010 et à Unreconciled: Poems 1991-2013 par Gavin Bowd en 2017-des poèmes de Houellebecq: "Dans le cas de la poésie de Houellebecq [. ], je voulais présenter aux lecteurs afrikaans des traductions (espérons-le) meilleures que les équivalents en anglais" (Ngadi Maïssa et Pieterse). Sans entrer dans les débats des traductologues, on constate néanmoins que ces traductions concernent en fin de compte la critique de l'hégémonie de l'anglais.

Cette défiance vis-à-vis de l'anglais est révélatrice des "inconscients culturels collectifs" par lesquels il est aussi possible de construire "la représentation de l'autre" (Sapiro 478). Je le perçois lorsque Morgan fait référence à l'essai de Van Zyl Slabbert qui se positionne en faveur des politiques républicaines et du dialogue interculturel. C'est-à-dire qu'elle exprime l'idée d'une inclusion des Afrikaners dans la construction d'une nation sud-africaine pluriculturelle, unie et démocratique. En revenant à cette œuvre avant-gardiste, celle-ci laisse lire en filigrane l'impératif d'un devoir de mémoire et de vérité vis-à-vis de la période de l'apartheid durant laquelle les Afrikaners ont été, d'une manière générale, les seules tenues responsables d'actes de discrimination et de domination puisqu'ils sont "les principaux acteurs de la mise en place de l'apartheid" (Teulié). Les traducteurs souhaitent ainsi déconstruire l'étiquette de communauté ségrégationniste exclusivement associée aux Afrikaners en relativisant les responsabilités ethniques et raciales. C'est dans cet élan, qu'en parlant de son expérience de traductrice descendante de ce peuple "multiculturel", que Catherine du Toit affirme que l'afrikaans fut aussi une "langue 'insoumise'" car elle devint, au fil de son histoire, "le symbole et l'outil de la résistance à la politique d'anglicisation des occupants" ("Bitterkomix: traduire, trahir, choisir"). L'afrikaans fut donc traditionnellement pour celle-ci une langue de la révolte contre les populations impérialistes "anglophones" qui, comme les Afrikaners, participèrent à la politique de racialisation.

Aussi, tout en donnant une image positive de ce peuple, le discours de Du Toit à propos des concurrences entre ces deux langues, au détour de la traduction, pourrait être considéré comme un axiome montrant que "tous les Blancs, de locution afrikaans ou anglophone ont une part de responsabilité" ("Bitterkomix: traduire, trahir, choisir") dans les injustices raciales durant l'apartheid. Cette perspective activiste de la traduction-au sens où "les traducteurs font des choix sur les valeurs et les institutions à soutenir où à opposer, en déterminant des stratégies militantes et en choisissant leurs combats" dans le but d'"atteindre leurs objectifs sociaux ou idéologiques [qui] sont légion, très localisées dans le temps et dans l'espace, changeant à mesure que la culture évolue" (Tymoczko 9)-est donc idéologiquement une posture combattante, voire partiale. Elle est notamment différente de celle d'Everson et de Ménager dont le propos au sujet de la langue, éminemment inscrit dans un intérêt d'usage pédagogique et académique, porte sur sa pratique par le jeune écrivain marocain dont ceux-ci traduisent le texte: "C'est sans doute en partie à cause du charme inhérent à un texte écrit en français, langue qu'il maîtrise mais imparfaitement" (III). Pour sa part, en référence à l'usage des africanismes, des expressions en wolof et de la langue orale dans les textes de Sembène Ousmane qui évoque "le désarroi des colonisés éloignés de leur langue maternelle et leur résistance à se conformer à la langue impérial", Catherine Glenn-Lauga indique que "le texte en anglais servira l'objectif d'une traduction s'il donne aux lecteurs le sentiment que leur langue maternelle peut s'ouvrir et accueillir d'autres voix et d'autres langues" (XVII). Nous sommes donc en présence d'une défense des langues locales que les traducteurs voudraient rendre audibles. L'intégration des celles-ci dans les récits écrits dans une langue dominante apparait comme un gage de défiance. Aussi, tout en restant dans le cadre du discours de la doxa francophone, Glenn-Lauga note que Sembène "constate amèrement que la promotion des langues africaines va à l'encontre des intérêts de la langue française, qui tente de résister à l'anglais avec les forces de la francophonie" (XIII). Elle pose donc le problème politique de la lutte entre les langues française et anglaise et celui de la défiance des langues africaines comme le wolof qui est la "lingua franca" au Sénégal. Cette thèse au sujet d'un plurilinguisme militant peut ainsi être mise en parallèle avec le contexte sud-africain qui voit l'impérialisme de l'afrikaans et l'anglais sur les langues comme le zulu ou le xhosa. Fait ici exception les traductions des recueils Presque-Songes (1934) et Traduit de la nuit (1935) du poète malgache Jean-Joseph Rabearivelo en zulu, en créole, en anglais et en français par une équipe de traducteurs multiculturels et interrégionaux qui ont pour but de "promouvoir une cohésion ainsi qu'une compréhension universelle à travers nos langues et nos littératures" comme le fait remarquer Du Toit, la coordinatrice de cette anthologie dans la présentation du projet (Communiqué AUF, "Recherche Océan-Indien-Traducteurs sans frontières"). Le fait est que ces ouvrages du poète malgache sont directement écrits en deux langues (français et malgache), annihilant ainsi le principe de domination linguistique entre la langue locale et la langue du colonisateur. Le caractère plurilingue de cette écriture crée une proximité avec les langues mineures de la région océanique africaine, particulièrement l'afrikaans, comme le relève Jean-Louis Cornille, dans le compte rendu qu'il consacre à cette anthologie interculturelle: "on aurait dit que ces deux langues mineures s'appelaient mutuellement, se faisant signe de manière nullement muette, d'une rive à l'autre, avec parfois des accords similaires, des sonorités semblables" (Cornille 238).

 

Dénoncer les discriminations et éditer localement

Les traducteurs du corpus sont aussi des enseignants-chercheurs. Ils ont un intérêt pour des œuvres, en lien avec leurs activités de recherche ou d'enseignement. En effet, tous, à l'exception de Piet de Jager, sont enseignants dans les universités sud-africaines. Les traductions interviennent comme des matériaux de travail dans leur domaine d'exercice. De façon croisée, ces œuvres illustrent une dénonciation de toutes formes de stigmatisation à travers la critique des systèmes religieux (Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran), identitaires ataviques et culturels (L'Africain; Rabearivelo), générationnels et sexuels (Oscar et la dame rose; L'Enfant ébloui). Cette critique concerne en outre la politique de discrimination comme c'est le cas du texte de Jean Raspail qui, selon Jean-Marc Moura, "justifie implicitement la politique d'apartheid sud-africaine" (120) ou de La Peste de Camus qui s'en prend à la Shoah. On peut également défendre, à la suite de Cornille ("Review of Tagtiggedigte en twee essays") et de Pieterse, que la satire de "l'abject" dans les poèmes de Houellebecq motivent l'acte des traducteurs qui y retrouvent par ailleurs des échos avec le spleen baudelairien. Morgan souligne qu'elle aime travailler avec les œuvres de Schmitt, comme c'est le cas pour la traduction de Madame Polynska et le secret de Chopin, parce que celles-ci sont portées par les dimensions éthique et méditative car "les histoires écrites par Schmitt vous font réfléchir à votre propre vie et à ce qui est important pour vous" et parce que cet auteur "écrit des textes merveilleux pour les acteurs, facilement réalisables dans les conditions matérielles actuelles" (dans Steyn-Bezuidenhout). Par ailleurs, ces traductions sont motivées par la visibilité internationale des auteurs à succès qui produisent généralement des best-sellers (Schmitt), qui ont obtenu le Goncourt (Echenoz, Houellebecq), ou le prix Nobel (Camus, Le Clézio). Everson et Ménager notent à ce titre que "[r]écemment, les productions de Rachid O. sont devenues des best-sellers en France"(III). On note également que l'essentiel des œuvres traduites sont initialement publiées dans les grandes maisons d'édition parisienne et que les auteurs sont principalement occidentaux. La présence d'un Sembène, dont le texte est publié dans une maison d'édition de la périphérie parisienne, mais néanmoins importante si on songe au rôle joué par le mouvement de la négritude pour son rayonnement, peut donc être perçu comme une surprise. Aussi, le nombre d'écrivains africains est insignifiant: on dénombre au total trois écrivains maghrébins et subsahariens. Ainsi, en dehors de ces dernières œuvres africaines, on trouve dans la période précédente à l'actuelle étude, Ma sœur la panthère (1978) de Djibi Thiam traduite par Jan Rabie sous le titre Suster luiperd (1981).

Par ailleurs, The Dazzle Child, est l'unique à être publié par une édition universitaire, celle de l'Université du Kwazulu-Natal qui a par ailleurs facilité les conditions de la traduction de ce texte pour les besoins d'enseignement selon les deux traducteurs (Everson et Ménager II). Les autres traductions en afrikaans paraissent chez des éditeurs généralistes, du "trade book" comme on les nomme en Afrique du Sud. Ces maisons d'édition sont situées dans deux des principales métropoles du pays (Prétoria, Le Cap), qui sont par ailleurs les plus riches comparativement à celle du KwaZulu-Natal (Gervais-Lambony 131). En convoquant des études relatives au secteur éditorial dans le pays, la traduction en anglais viserait un public plus large contrairement à celles en afrikaans qui profitent d'un public qui "se concentrent dans les centres urbains et les banlieues blanches" puisque "le lectorat en Afrique du Sud reste traditionnellement blanc, féminin à 80% pour cent, urbain et riche" (Politis 14). Mais la faveur de l'afrikaans chez les traducteurs est possiblement une réaction contre le fait que "l'anglais [soit] devenu la lingua franca du pays" (Politis 22) car, après l'apartheid, la production en afrikaans "n'était plus ni politiquement ni institutionnellement protégée et privilégiée comme elle pouvait l'être auparavant " (Politis 26). A cet effet, certaines maisons d'édition n'hésitent pas à afficher leur attachement linguistique et identitaire: "Protea: Trots Afrikaans! [Fièrement afrikaans!]"; PRAAG (Pro-Afrikaanse Aksiegroep). La parution de l'œuvre traduite de Raspail dans la ville de Morgenson, connue notamment pour avoir été un des fiefs des séparatistes Afrikaners dans les années 1980, peut rappeler ce marquage identitaire et idéologique. Enfin, Human & Rousseau est une maison d'édition généraliste qui publie des ouvrages en anglais et en afrikaans; elle fait partie du groupe NB publishers depuis 2001(Politis 27).

 

Affirmer une francophonie universitaire et diplomatique

Les traductions sont le résultat des échanges diplomatiques et culturels entre la France et l'Afrique du Sud après l'apartheid. Pour preuve, ce n'est qu'à partir de la création de L'Institut Français d'Afrique du Sud (IFAS) en 1995 qu'on observe une croissance de cette activité. Le corpus couvre la période de 1990 à 2018, mais excepté la traduction de l'œuvre de Raspail par Morgan en 1990, toutes les autres traductions sont effectuées après l'implantation de ce centre culturel à Johannesbourg. Par ailleurs, on notera que le pic des traductions se situe en 2012, c'est-à-dire l'année de la double saison (la saison française en Afrique du Sud en 2012 et la saison sud-africaine en France en 2013) de coopération entre la France et l'Afrique du Sud, qui a permis le déplacement des auteurs d'un espace vers l'autre et vice-versa. Les auteurs sud-africains furent invités au festival "Étonnants Voyageurs" de Saint-Malo en 2013 et les auteurs français et francophones furent conviés à l'"Open Book Cape Town Literary Festival" en 2012. Ces deux manifestations, ainsi que les actions connexes liées à ces scènes culturelles marquent un tournant dans les échanges entre ces deux espaces, en rapport avec la diplomatie culturelle, le rôle des agents culturels et des écrivains qui s'inscrivent dans une perspective littéraire mondiale. Les acteurs et les promoteurs de ces manifestations défendent ainsi l'idée d'une "littérature-monde" et celle d'une "littérature sud-africaine situé dans le contexte international". Cette internationalité est en outre manifeste avec le festival de la Francophonie organisé depuis 2010 par l'Alliance française de Prétoria. La traduction de Du Toit et ses étudiants en est un bon exemple comme on peut le lire sur la page du consulat du France: "Ce projet est soutenu par les Saisons France-Afrique du Sud 2012 & 2013 ". Ces traductions sont ainsi la conséquence de l'action diplomatique française qui finance nombreuses d'entre elles à l'exemple de Piet de Jager-"Ils ont été soutenus par l'ambassade de France en Afrique du Sud et l'Institut français à Paris, dans le but de promouvoir la diversité linguistique et l'accès à la littérature française"-de Pieterse comme il l'atteste dans nos échanges-"La publication de Tussen die abjekte en die eteriese. 'n Keur uit diepoësie van Michel Houellebecq a été rendu possible en partie grâce à une subvention de l'IFAS (Institut Français d'Afrique du Sud)" (Ngadi Maïssa et Pieterse)-ou d'Everson et Ménager-"Nos remerciements vont également à l'ambassade de France en Afrique du Sud et particulièrement à Jacques de Mones pour leur précieux soutien" (II). En clair, ces traductions sont majoritairement l'œuvre de la diplomatie culturelle française qui apporte un soutien "à la traduction des productions éditoriales françaises vers les langues étrangères" dans la mesure où, selon Judith Roze, "la traduction [...] constitue un enjeu essentiel pour notre rayonnement ou notre influence à l'étranger" (197). L'extraduction vient alors en appui à la circulation ainsi qu'à la promotion des œuvres de langue française.

Cette extension du domaine du français par la traduction est en rapport avec l'activité académique de ces traducteurs. En ce sens, en considérant le rôle de l'ambassade de France par ces financements ainsi que le relai accompli par ces traducteurs-enseignants des œuvres de langue française, la traduction pose les jalons d'une francophonie hors les murs (Chevrier, Lelong, Wade et Mauguière 50-3). En effet, par la traduction et par l'enseignement, les enseignants font la promotion de la langue française qui serait en recul dans le pays. Pieterse déclare dans notre entretien:

On espère que ces traductions contribueront à la francophonie sud-africaine, mais les chiffres indiquent le contraire: le français est en déclin en Afrique du Sud, tant à l'école qu'à l'université. Bien que les "portes de l'Afrique" aient été ouvertes après la chute de l'apartheid et que les échanges avec les pays africains francophones aient augmenté depuis lors, le français est dévalorisé au niveau local. Les départements de français sont fermés ou intégrés à d'autres langues européennes modernes et, dans le cas de l'université de Pretoria, intégrés au département des langues anciennes (!) (Pieterse et Ngadi Maïssa)

En ce sens, pour l'auteur, la traduction favorise le développement de la francophonie en Afrique du Sud. Cette francophonie qui s'affirme en outre avec la migration des francophones dans le pays est toutefois en déclin à cause notamment d'une crise dans l'enseignement de la langue: les départements de langue française ferment ou bien intègrent d'autres département fautes d'effectifs conséquent ou de financement. Néanmoins, l'acte de traduire est associé à l'action des organes du ministère des affaires étrangères français ou aux diverses associations de langue française. Aussi, comme on peut le lire sur la page d'actualité de l'Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) qui finance ce projet, la traduction de l'œuvre de Rabearivelo veut "démontrer que dans un contexte de multilinguisme, la francophonie, à travers la langue française, contribue à l'enrichissement et la valorisation des langues de l'Océan Indien" (Communiqué AUF, "Recherche Océan-Indien-Traducteurs sans frontières"). La traduction de L'Africain par Morgan est par exemple financée par les "fonds culturels néerlando-sud-africains" (2013) et issue d'une rencontre avec l'écrivain organisée par l'AFSSA:

En 2010, l'Association pour les études françaises en Afrique australe (AFSSA) a organisé une conférence dont Le Clézio devait être l'invité d'honneur. Le thème de la conférence était "Rives et dérives". La traduction étant mon passe-temps favori, j'ai cherché un roman de Le Clézio qui correspondrait au thème. Le titre "L'Africain" en faisait un choix approprié, ce qui a été confirmé ensuite par son contenu. (Morgan et Hadrien Diez)

Le rôle des enseignants et des organismes de promotion de la langue française témoigne du dévouement de ces francophiles permettant la "construction d'une certaine francophonie" par laquelle "le français est en devenir en se faisant langue diplomatique [...] et de partenariat universitaire et scientifique" (Balladon et Peigné 17). Outre cette francophonie universitaire qui s'exprime principalement dans le domaine scolaire et universitaire, l'implication des institutions française et sud-africaine la situe aussi comme un instrument diplomatique. Pour les observateurs, le regain d'intérêt pour le français en Afrique du Sud s'explique par un nombre conséquent de migrants francophones d'Europe (français, belges) et d'Afrique (congolais, burundais), par l'implication de la diplomatie sud-africaine dans le règlement des conflits continentaux qui "a entraîné une prise de conscience de l'importance du français lors de ces négociations" (Politis 2005), ainsi que la défense de ses intérêts économiques dans les pays francophones d'Afrique centrale et de l'Ouest. Benoît Antheaume note ainsi que les autorités politiques sud-africaines adhèrent à la Francophonie-au sens d'être intéressées-en détournant "un instrument de partenariat dans le domaine de la langue et de la culture" au profit d'intérêts "nettement plus marchands dans le contexte d'une mise en compétition acharnée que la mondialisation, assumée ou subie, impose à tous les pays" (349). Cette critique à propos de l'élargissement des ambitions politiques et économiques sud-africaines est parallèle au discours paradigmatique relatif aux intentions néocoloniales de la France, à travers l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

En clair, l'objectif de cette étude était de répertorier les œuvres de langue française traduites en Afrique du Sud et d'en révéler les mécanismes de production et de circulation. La bibliographie des dix-sept traductions recensées, grâce à une approche sociologie, incluant l'enquête et l'entretien, me permet de tirer quelques conclusions de diverses natures relatives aux rôles des agents, notamment les traducteurs, les éditeurs, les institutions de financement et de relais. En considérant l'axe de la résistance pour lire les traductions de la littérature de langue française en Afrique du Sud, je constate que celle-ci renvoie avant tout à la réactualisation d'un héritage qui sert à renforcer le canon littéraire en afrikaans. J'ai montré que la prédominance des traductions en afrikaans est un positionnement des traducteurs qui cherchent à s'opposer à la domination de la langue anglaise, de se désengager de l'exclusivité de l'héritage ségrégationniste sur le plan national. Le choix des œuvres est ainsi significatif d'une pratique commune qui confirme la prédominance des œuvres littéraires françaises et européennes supposant un réseau d'échanges littéraires entre le Nord (France, Belgique et sans doute Suisse) et l'Afrique du Sud. Sur dix-sept traductions, trois seulement concernent les œuvres d'écrivains africains: Sembène , Rachid O. et Rabearivelo. La fonction enseignante de langue des traducteurs leur fait ainsi adhérer à la francophonie qui prend, en raison de l'implication des instances de la diplomatie française dans le processus de traduction, une dimension universitaire et politique. Les manifestations culturelles transnationales, principalement festivalières, autour des éditeurs, sont des vecteurs importants qui motivent ces traductions. Les financements de ces traductions principalement par les agences de la Francophonie ne contribuent pas à faire circuler les œuvres de langue française vers une production en langues autochtones du pays, où elles sont encore inexistantes.

 

Notes

1 Toutes les traductions des travaux critiques cités et des entretiens avec les traducteurs sont les miennes.
2 Le site officiel de l'Institut français en Afrique du Sud (IFAS) a connu des révisions ces dernières années. Certaines pages que j'ai consultées durant cette enquête ne sont plus actives. Je peux, au besoin, fournir les copies des références citées.

 

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Submitted: 26 May 2023
Accepted: 31 October 2023
Published: 6 December 2023

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