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Tydskrif vir Letterkunde

On-line version ISSN 2309-9070
Print version ISSN 0041-476X

Tydskr. letterkd. vol.58 n.1 Pretoria  2021

http://dx.doi.org/10.17159/tl.v58i1.8285 

RESEARCH ARTICLES

 

La République Démocratique du Congo: dramaturgies du conflit (idées et formes)

 

Democratic Republic of Congo: dramaturgies of conflict (ideas and forms)

 

 

Renata JakubczukI; Witold WotowskiII

IProfesseur à la Chaire des études romanes de l'Université Maria Curie-Sktodowska à Lublin, Pologne. Son intérêt scientifique porte sur la dramaturgie française et francophone. Email: renata.jakubczuk@umcs.pl https://orcid.org/0000-0003-4692-0729
IIProfesseur de l'Université Catholique de Lublin Jean-Paul II, Lublin, Pologne. Il s'intéresse à la théorie du texte dramatique et du spectacle théâtral. Email: wwolowski@interia.pl https://orcid.org/0000-0003-2393-8782

 

 


ABSTRACT

This article, which focuses on selected plays by contemporary Congolese playwrights, has two objectives: the first of which is to illustrate how theatre production in the DRC in contemporary times has been devoted to highlighting various social and political conflicts within the society. The paper's second objective is to examine the aesthetic and technical aspects of the plays under study, such as the use of allegory, metaphors, verbal invention, proverbs, enunciative heterogeneity, voice orchestration, and theatricality encoded in stage directions (didascalia). Through its critical analysis of dramaturgy and style, the paper reveals the manner in which the authors display a heightened sense of awareness about conflicts within their society by employing an agonistic mode in their plot construction. The paper also highlights how the plays have contributed greatly to the development of writing for performance in Africa in general, and in the Democratic Republic of Congo in particular.

Keywords: Congo theatre, conflict, diegesis, discursive strategies, esthetical methods.


 

 

Introduction

"Le théâtre africain existe. Il est plein d'inventivité et d'imagination", écrivait Fiangor il y a vingt ans (11). L'affirmation est toujours vraie, même si l'on peut se demander si depuis cette date tous les auteur(e)s de talent ont vraiment eu accès à la diffusion éditoriale, et dans quelle mesure ceux ou celles qui y ont accédé restaient réellement indépendant(e)s par rapport aux 'créations commanditées', 'productions sur objectifs spécifiques' et autres 'pesanteurs' (Kabeya Mukamba, et al.), voire 'disfonctionnements' (Fiangor).1 Quoi qu'il en soit, la production dramatique de la République Démocratique du Congo (RDC) présente des caractéristiques dignes d'intérêt, aussi bien sur le plan idéologique qu'esthétique.

Un autre point d'interrogation émerge du champ de la recherche où la situation semble elle aussi quelque peu ambiguë. D'un côté, les études africaines-au sens général-se portent très bien, de l'autre, en feuilletant les revues (African Studies Review, Présence africaine), on y trouve peu de textes sur le théâtre africain entendu à l'échelle continentale où l'on puisse trouver des repères sérieux d'ordre technique et idéologique.

Il en est un peu autrement des perspectives plus particulièrement nationales ou régionales où les interventions sont, certes, assez nombreuses mais dominées par les approches historiques et souvent scénocentristes (histoire et activité des compagnies locales).2 Exploré sous plusieurs aspects à travers les études qui sondent le passé jusqu'en 1905, l'art dramatique de la RDC offre toujours un grand champ à l'investigation, surtout si l'on pense à l'époque plus strictement contemporaine et aux auteurs non encore défrichés ou insuffisamment mis en valeur pour leurs mérites artistiques et l'importance de leur message. Les articles repérables sur le réseau, explorant tout ce vaste domaine un peu à tort et à travers, ne sont pas aussi nombreux qu'on pourrait l'espérer pour une zone culturelle où plus de cinq mille auteur(e)s avaient participé à différents concours dramatiques organisés par la Francophonie (Fiangor). Chaque intervention qui contribue à compléter la grande fresque qui manque semble ainsi utile.

La nôtre poursuit, comme le titre l'indique, un objectif double: il s'agit, d'un côté, de démontrer que le théâtre congolais contemporain est (ou continue à être) informé par de violents conflits de différente nature, et, de l'autre, d'examiner les stratégies d'ordre formel et esthétique qu'il met en œuvre. Ce dernier dessein, c'est-à-dire la tentative d'une exploration formelle, a d'ailleurs été l'un des facteurs qui ont déterminé le choix du corpus où, comme on le verra au cours des analyses, chaque texte offre une approche dramaturgique différente et une déclinaison stylisitique spécifique. Les auteurs choisis sont au nombre de six: Pierre Mumbere Mujomba, Nlandu Mayamba Mbuya Tierry, Mumbal'Ikie Namupot Mas, David-Minor Ilunga, Célestin Kasongo et Jonathan Kombe. Les textes des trois derniers figurent dans un volume collectif publié par Lansman. En abordant ce recueil, nous prolongeons d'ailleurs les études séminales de Maëline Le Lay et répondons aux suggestions explicitement formulées dans l'argumentaire du grand projet de recherche de 2015 (Kabeya Mukamba, et al. 2).

 

La question des innovations: deux "pactes de théâtralité" parallèles

Quand on parle aujourd'hui d'innovations dans l'univers du spectacle (et de l'écriture dramatique), il est nécessaire de prendre quelques précautions. Tout d'abord, il importe de tenir compte de la coexistence simultanée d'au moins deux 'pactes de théâtralité' qui restent en vigueur de nos jours: celui du théâtre dramatique et celui du spectacle, ou event, postdramatique et plus ou moins performatif dans son essence ou ses contours. Ce dernier est bien défini dans un article tout récent d'André Helbo qui écrit ceci: "Le théâtre d'aujourd'hui ne propose plus un univers de discours achevé fondé sur la cohérence du sens" (256). Le sémioticien belge indique ensuite un certain nombre de caractéristiques de ce "théâtre émancipé" de tout et, de ce fait, sémantiquement pulvérisé: multimodalité sensorimotrice, multistabilité, multispatialité, hypermédiatisation, autonomie des codes, effets de défocalisation, absence de l'auteur en amont de l'œuvre, chamboulement de toutes les relations et composantes de la théâtralité traditionnelle. Or, répétons-le avec insistance: ce n'est qu'un des pactes; cette définition ne concerne qu'une partie de la production théâtrale d'aujourd'hui-d'un 'aujourd'hui' largement entendu, cela est évident, puisque certaines expérimentations évoquées par Helbo et toute la mouvance lehmanienne, remontent aux années '70 du siècle précédent. En tout cas, le théâtre de la RDC n'en est certainement pas encore là, c'est-à-dire à l'étape d'une "iconomanie" médiaturgique (Marranca 19) et d'une "postmodernité techno-liquide" (Masotti 142) qui reposent uniquement sur le lecteur/spectateur en ce qui concerne le vecteur sémantique.

Avec le théâtre congolais, nous restons toujours dans le pacte numéro 1, c'est-à-dire dans la formule dramatique qui s'énonce ainsi: une instance en chair et en os, à l'identité bien définie, douée d'une psyché et d'une spiritualité individuelles, formule un message (intentionnel, cohérent, concret et intelligible) à l'intention d'une autre instance dotée de qualités analogues. Enfin, il s'agit là d'une communication culturelle relativement traditionnelle au sein de laquelle les auteurs cherchent constamment-et intensément-des solutions originales, innovantes et surtout adéquates par rapport aux problèmes qu'ils affrontent au quotidien. Ce dernier aspect, il faut bien y insister, reste déterminant dans la production dramatique qui fait l'objet de nos analyses: le douloureux quotidien, précaire et lacéré par des conflits, prime en quelque sorte sur le jeu esthétique, sans l'étouffer pour autant. "La mise en écriture de la réalité a toujours ouvert la voie à des questions d'expression et à la subjectivité imaginative, qui apportent aux faits sociaux réels un gradient d'utopie", écrit très justement Kayembe (106).

C'est donc dans un cadre ainsi prédéfini que nous voulons passer en revue six auteurs qui ont désormais acquis une certaine visibilité (même internationale, comme c'est le cas de La dernière enveloppe de Mujomba) et qui, grâce aux solutions stylistiques et dramaturgiques intéressantes, ont leur part dans l'évolution de l'écriture théâtrale congolaise et africaine. Outre les procédés d'ordre compositionnel et discursif qu'ils essayent de mettre en œuvre, chacun de ces auteurs s'attache à monter des scissions et des antagonismes qui déstabilisent le délicat équilibre des communautés.

 

Du côté des conflits

Quand, en 1991, Jean Cléo Godin écrivait "Entre la censure et l'exaltation des idéologies dominantes, entre la critique des pouvoirs et la légitime revendication des droits, la dramaturgie [africaine] semble prisonnière, et pour un long moment encore, d'un discours social manichéen laissant peu de prise aux préoccupations esthétiques" (112), il était difficile d'imaginer que, trente ans plus tard, cette dramaturgie donnerait des preuves indubitables de renouvellement de l'écriture conçue pour la scène de théâtre. En 2013, Dominique Traoré parle d'une "poétique de la mémoire fragmentée" (201) qui caractériserait la dramaturgie de l'Afrique occidentale francophone. Tout en continuant à traiter des problèmes, toujours actuels, concernant les relations familiales, la situation des femmes, les inégalités sociales, l'abus sexuel, religieux ou politique, les guerres, les textes dramatiques africains-dont ceux de la dramaturgie congolaise contemporaine-témoignent aussi des recherches esthétiques.

Sans se laisser dominer par les possibilités des techniques actuelles, les auteurs congolais visent plutôt la puissance de la parole et du texte dramatique. Quant au contenu, Mukala Kadima-Nzuji évoque le conflit, le vol et la corruption qui stigmatiseraient le théâtre congolais de la postindépendance (150). En effet, y aurait-il un dénominateur commun que l'on pourrait trouver dans notre corpus des textes dramatiques de la RDC contemporaine? La réponse n'est ni facile ni univoque. Néanmoins, insistons sur un aspect que l'on retrouve dans tous les textes, à savoir le modèle agonistique de la construction de l'action dramatique (Caillois 60-2; Kowzan 69; Pavis 13). La compétition et toutes sortes de conflits y sont omniprésents. Partout et à tous les niveaux, on y assiste à une lutte quotidienne-et souvent héroïque-des gens confrontés à des obstacles divers. Que ce soit par temps de guerre ou dans la paix relative d'un après-guerre, les personnages affrontent les difficultés liées à leur situation précaire, et cela avec une dignité avérée.

Conflit politique: aporie de la prison

Jonathan Kombe Kukya, acteur, scénariste et dramaturge congolais, choisit la prison comme contexte diégétique de ses pièces: Les prisonniers d'Ékafela (2011) et La Place des éperviers (2017).3 De l'aveu de l'auteur, il s'est inspiré de la prison d'Ékafela qui a existé en RDC, de l'histoire de Guantanamo et de son passage dans la prison où son neveu était détenu en 1996 (Kombe). Sa première pièce nous conduit dans une prison située sur une petite île entourée de mines et destinée aux criminels les plus dangereux. Tel Hassan, terroriste, est accusé d'avoir placé des bombes dans des lieux publics. Seul dans sa cellule, humilié et battu par Gardien, il assume docilement sa peine n'espérant plus rien de la vie jusqu'à l'arrivée de deux autres prisonniers, Umberto et Musafiri. Leur apparition perturbe profondément le protagoniste. Ce dernier, après avoir avoué les causes de son comportement (il tuait aveuglement car toute sa famille a été assassinée par des inconnus), écoute la confession de Musafiri, enfermé injustement, et celle d'Umberto, qui, motivé par des raisons de sa carrière politique, voudrait emmener Hassan pour le livrer aux familles des victimes. Sa mission échoue et, ne voyant aucune solution, il se jette sur une mine. Les événements de la pièce s'articulent ainsi en une intrigue agonistique dans laquelle l'aporie est liée à l'incompatibilité des motivations des personnages.

La prison sert de décor également à la seconde pièce de Kombe, La Place des éperviers. Ici, le dramaturge recourt à l'antonomase afin d'universaliser les problèmes abordés: le totalitarisme, la guerre, la révolte et la protection des droits de l'homme. Au fil de la conversation entre L'Homme et le Brigadier, le lecteur/spectateur est familiarisé avec la situation dans le pays, un territoire africain défini uniquement par le nom de "La Place des éperviers".4L'agon se construit ici entre un représentant du pouvoir (un jeune garçon simple) et celui de l'opposition, un homme instruit, connaissant le monde: "Moi j'ai été en France, Belgique, Montréal, Australie, Los Angeles, Miami, Washington, Finlande, Pologne" (Kombe 9) et du monde: "Mais, j'ai des relations" (9). Leur dialogue est focalisé sur la libération de L'Homme qui essaie par tous les moyens possibles (y compris la corruption) de persuader le Brigadier d'ouvrir la cellule. Pourtant rien ne marche. L'aporie de la situation semble être évidente. Le gardien reste intransigeant jusqu'à l'appel téléphonique de son supérieur. La cellule s'ouvre soudainement mais L'Homme ne veut plus sortir ... il continue à parler, comme s'il voulait 'convertir' le Brigadier et informer le monde entier de la situation dans le pays: "Ces psychopathes fabriquent des armes qui détruisent des vies humaines [...] Ils circulent librement tandis que les innocents remplissent les pénitenciers [...] Nous sommes des héros ignorés [...] Mais sachez que notre sang criera vengeance" (Kombe 25). Compte tenu du déroulement du dialogue, durant lequel L'Homme ne dépasse pas les limites de la bienséance, son comportement final peut surprendre car le lecteur/ spectateur ne s'attend pas à une telle manifestation de la force, du courage mais aussi de l'imprudence de la part du détenu.

Enfin, L'Illusion (2010) de Mumbal'Ikie Namupot Mas où l'école catholique congolaise de la postindépendance devient une sorte de prison basée sur l'aporie relationnelle entre l'élève et l'enseignant.5 Construite de façon agonistique, la pièce oppose un jeune homme rêveur, intelligent et avide d'instruction à tout un système scolaire dans un pays postcolonial. L'élève, tel un prisonnier du système, paraît impuissant envers le pouvoir quasi totalitaire des propriétaires des écoles. L'hypocrisie et la corruption semblent être le menu quotidien des écoles tenues par des réligieux, esclaves eux-mêmes d'une hiérarchie 'professionnelle'. Tout au long de la pièce, le lecteur/ spectateur assiste aux humiliations du protagoniste oppressé par des frères, mais l'excipit est porteur d'espoir car le héros, devenu un haut fonctionnaire d'état, fait preuve de vraies valeurs catholiques.

Conflit de générations: conflit civilisationnel

Le conflit de générations n'est pas un phénomène nouveau ou propre à une civilisation particulière. L'art de Melpomène en connaît de nombreux exemples et le théâtre occidental en propose des variantes diverses depuis l'Antiquité (Electre, Antigone) jusqu'aux temps modernes où les exemples se multiplient, en passant par le théâtre classique (Molière). Quant à la construction dramatique, malgré les tendances-non seulement européennes- qui visent toute sorte d'hybridation générique, la jeune dramaturgie congolaise semble être basée sur des schémas assez traditionnels.6 On note un nombre relativement restreint d'indications scéniques et le déroulement de l'action s'appuie généralement sur des répliques directes et bien 'bouclées' des protagonistes. Dans ce contexte, il semble intéressant de mentionner la pièce de Célestin Kasongo intitulée Tour de contrôle qui se distingue parmi les autres textes choisis pour cette étude.7

L'intrigue est nouée autour d'un protagoniste quasi omniscient: Mungrandi. Ce personnage clé, détenant le rôle stratégique dans la diégèse de la pièce et se plaçant dans l'épicentre des événements, est propriétaire d'une cabine téléphonique publique dans un quartier pauvre d'une ville africaine. L'aventure est racontée par l'analepse où Mungrandi est un narrateur qui s'adresse à sa nouvelle cabine "Tour de contrôle 2 ". Par l'emploi de l'expression "Il était une fois l'incipit de la pièce pourrait suggérer une histoire agréable, un conte de fées destiné aux enfants. Rien de tel: Mungrandi-son nom, ne fait-il pas du reste penser à un maître du 'grand monde', une sorte de demiurge un peu cynique?-manipule son entourage jusqu'à l'arrivée de la catastrophe finale, "une exponentiation des malheurs de toute une famille" (Kasongo 44). Toujours motivé par des profits financiers, très puissant dans ses démarches, il échange son silence contre de gros billets de banque de dollars américains de Pingo, un étranger revenu chercher une descendance.

Le conflit auquel nous assistons dans cette pièce a une double nature car d'un côté, on y voit une confrontation entre deux civilisations (européenne et africaine: Pingo vs Mungrandi), ou "[des] conflits de cultures", selon l'expression de Puis Ngandu Nkashama (113), et, d'un autre côté, l'opposition entre le père et la fille (Pingo vs Lolita) qui incarnent deux générations différentes.

La pièce n'est divisée ni en actes ni en scènes. Le lecteur/spectateur assiste seulement aux événements majeurs de l'histoire présentée. Les séquences successives sont uniquement numérotées de 1 à 19, de même que deux autres pièces du même volume. On note des sauts temporels importants. Le protagoniste-narrateur relate ce qui s'est passé entre les apparitions successives des autres personnages: "j'ai décidé de jouer mon grand jeu pour faire pousser et croître mon maudit pain quotidien [...] Ce jour-là, j'ai gagné en une flemme cinquante fois ma recette journalière [...] Cette opération s'est répétée autant de fois que nécessaire" (Kasongo 56, 59). De surcroît, pendant ses interventions, Mungrandi-narrateur annonce au lecteur/spectateur les problèmes qui seront résolus plus tard: "de quoi un étranger pouvait-il parler avec une femme perdue dans un quartier bordélique d'une ville africaine? Pourquoi ne voulait-il pas se présenter lui-même? [...] Lolita était-elle donc une 'balle perdue'?" (Kasongo 48, 51).

Une autre technique pratiquée par l'auteur est la composition en abyme. Avant l'intervention du narrateur, le dramaturge introduit des mini-scènes 'jouées' par des "voix téléphoniques" qui ne sont pas directement liées à l'action. En effet, ces micro-mises en abyme correspondent aux moments-clés qui font évoluer l'action de la pièce. Il y en a quatre: (1) la première scène après le Prologue; (2) la première conversation entre Pingo et Maria; (3) la vente d'un aphrodisiaque à Pingo; (4) le chantage de Mungrandi et la révélation du secret. À l'instar de l'action-cadre, elles présentent des conflits que les personnages auront à résoudre.

L'auteur recourt aussi à des variantes de cette technique: une mini-scène jouée par le personnage de Mungrandi dans laquelle il imite les voix de Maria et de Pingo en train de se disputer au sujet de Lolita (séquence 17, 59) ou des petites histoires racontées à Lolita par son père afin d'attirer son attention et l'orienter vers le retour à l'école. De nouveau, une construction agonistique se profile, puisque Pingo finit par détruire la vie conjugale de son ex-fiancée, en révélant l'infidélité de Maria. Le conflit entre les parents biologiques de Lolita devient la source des malheurs qui adviennent à tous les personnages faisant partie de l'intrigue racontée par le narrateur.

Conflit familial: relations brouillées

Einsteinnette de David-Minor Ilunga repose, elle aussi, sur le heurt.8 L'intrigue met en scène quatre personnages banalisés en numéros (Un, le père; Deux, la mère; Trois, le fils; Quatre, la sœur) qui appartiennent à la même famille. En apparence, une famille ordinaire: le père a perdu son emploi, la mère fait tout pour joindre les deux bouts, le fils, chouchou de maman, veut être musicien, et la fille, chérie de papa, rêve d'entrer à l'université. Mais, sous les apparences se cache toute une panoplie de conflits, de sous-entendus, de non-dits, de reproches divers, etc. L'appartement où vit la famille ne représente pas un locus amoenus pour ses habitants car leurs relations sont tout au moins ambiguës. Même si le contenu de la pièce invite à une approche herméneutique approfondie, faute de place, nous nous concentrerons sur l'étude des formes génératrice de conflits. Ainsi, à l'instar de l'exemple précédent, nous pouvons évoquer des micro-mises en abyme auxquelles les personnages recourent pour suggérer au lecteur/spectateur plusieurs interprétations possibles.

Au début de la pièce (séquence 2), dans un long monologue, Quatre, la sœur joue une scène où elle incarne trois personnages, des membres de sa famille. Elle prend aussi le rôle du narrateur en racontant l'histoire de son enfance, l'époque où son père a découvert les capacités intellectuelles de la fille. Elle le fait de façon ambiguë car il semble que cette situation puisse être interprétée comme le commencement d'une relation incestueuse entre le père et la fille. Dans la première séquence, nous lisons:

DEUX, la mère: Bonjour la deuxième bureau!

UN, le père: C'est pas une bureau, c'est ma fille.

DEUX, la mère: Qui pique la place de sa mère. (Ilunga 14)

Ce petit fragment jette aussi une lumière sur les relations entre les époux qui s'accusent réciproquement d'infidélité conjugale: le père autrefois et la mère à présent. Dans la cinquième séquence, Deux reproche au père: "J'en ai marre de jouer à la bonne femme douce et équilibrée même quand son homme saute de sa couche en pleine nuit et s'en va monter la garde dans la chambre de son 'Einsteinnette'" (32). Seulement dans l'avant-dernière séquence, après avoir révélé à Deux sa grossesse, Quatre avoue: "Un jour ton homme me croise au salon, prête à prendre la route pour l'école. Dès que je passe près de lui, il me stoppe net [...] Il me renifle, saisit ma main et me conduit dans la salle de bain [...] Je me suis rhabillée et ... il m'a conduite vite fait à l'école ... Où étais-tu maman?" (36).

Néanmoins, il n'est pas certain que pater familias soit le père de l'enfant de sa fille car nous apprenons aussi l'existence d'une mystérieuse lettre d'amour anonyme que le père découvre à la maison. Il reproche l'adultère à sa femme mais, dans la séquence suivante, c'est la fille qui avoue en s'adressant à son enfant: "Mais mon cœur chauffe d'amour pour le tireur. / Il m'a rendue folle. Et je l'ai griffé. / Je lui ai sauté dessus et te voilà" (35). La question reste ouverte.

Les rapports de Deux et Trois ne sont pas nets non plus. Tout au long de la pièce, la mère protège son fils contre les attaques du père mais elle se rend compte de la triste réalité: "Tu es un parasite [...] Ce n'est pas parce que je te sers de couverture que je ne peux pas te déshabiller" (25). À trente-deux ans, le fils reste toujours à la charge des parents car il veut être près de sa mère: "Moi j'avance dans la vie aux côtés de ma mère" (29). Mais cette dernière pousse son fils à partir en Europe et gagner de l'argent: "Ce que je te demande, c'est de blanchir d'euros mon sourire" (28) dit-elle à Trois. Nous pouvons donc douter de l'honnêteté des intentions de la mère envers son fils.

À l'instar des trois autres couples des personnages (père/fille, père/mère, mère/fils), la relation entre le frère et la sœur n'est pas tout à fait claire elle non plus. Tout au long de la pièce, ils ne s'adressent même pas un mot, tout en vivant l'un à côté de l'autre. Seulement in fine leur dialogue met un peu de lumière sur leurs rapports. En effet, le frère a toujours été jaloux de sa petite sœur: "Depuis tes couches, j'ai eu envie d'enfoncer du coton dans ta petite bouche. Je te lisais comme celle qui est là pour bousiller ma couche d'ozone. Bouffer mon espace vital masculin [...] Tu m'a arraché mon père. Partagé ma mère" (39) et la sœur lui enviait sa liberté, son insouciance, l'attention que lui accordait leur mère. Mais il y a plus encore, la sœur se déguise et met les vêtements de son frère pour (enfin?) parler sérieusement avec sa mère.

Le dénouement de la pièce mérite une attention particulière car les deux dernières séquences ne sont pas construites de la même manière que le reste du texte. Durant les parties 8 et 9, les personnages ne dialoguent plus. Ils prêtent seulement leurs voix pour exprimer les malheurs les plus douloureux. Ces deux scènes appartiennent à un autre registre, complètement différent du précédent, plus onirique que réaliste. Les personnages disent à haute voix leurs vœux, leurs désirs, ce qu'ils voudraient entendre de la part des proches et non ce qu'ils souhaitent leur communiquer. Or, l'excipit de cette pièce ne propose aucune solution aux problèmes abordés. La fin reste entièrement ouverte, rien n'est résolu et plusieurs solutions sont possibles. Les chemins des protagonistes s'entremêlent totalement, de même que leurs voix dans les scènes finales qui demeurent nébuleuses.

Conflit social et pièce-machine

Nous empruntons l'expression de "pièce-machine" à Michel Vinaver (43) pour désigner La dernière enveloppe de Pierre Mumbere Mujomba, la pièce que Jacques Chevrier situe "à mi-chemin de la farce et du cauchemar" (7).9Divisée en quatre actes, elle est centrée sur le problème de la disparition d'une enveloppe contenant dix dollars américains. Une pièce agonistique par excellence puisqu'elle oppose le monde richissime des représentants du pouvoir corrompu et celui des citoyens soumis à une paupérisation croissante voire un néo-esclavage qui touche une grande majorité du peuple africain. La protagoniste, au nom bien révélateur-Mama Domina, propriétaire d'une quarantaine de villas, de centaines de voitures, des avions personnels et des millions de dollars invente un tas d'astuces pour ne pas rembourser dix dollars mensuels à son professeur d'anglais, mais la disparition de l'enveloppe sert seulement de prétexte pour présenter tout un système criminel du trafic d'organes humains contrôlé par Mama Domina.

En fait, le micro-conflit entre le professeur Frédéric Mafikiri et sa patronne paraît un prétexte pour montrer de façon camouflée un macro-conflit de tout autre acabit: les affaires illicites d'un groupe mafieux, organisation proche du gouvernement d'un pays africain anonyme. Le dramaturge atténue l'effet macabre (que l'évocation directe du problème de la contrebande des organes humains pourrait produire sur le lecteur), en introduisant des scènes grotesques. À titre d'exemple, citons le dialogue entre Mama Domina et Mario Premier, dans le deuxième acte:

Mama Domina: [...] L'or blanc, qu'est-ce que c'est?

Mario Premier: L'or blanc, c'est la moelle d'okapi.

M. D: Or ultraviolet?

M. P: Sang de pygmée.

M. D: Or vermeil?

M. P: Sang de nourrisson.

M. D: Or infrarouge?

M. P: Sein de mulâtresse ... (22)

Tout le déroulement de l'action témoigne aussi de la vraisemblance et rien n'annonce la solution finale qui, de nouveau, appartient à un autre registre: imaginaire, fantastique, irréel. Les billets de banque envahissent la pièce ad nauseam; advient une vraie apocalypse qui précède la tombée du rideau. Mais la fin de la pièce n'apporte pas de résolution. Le lecteur imagine facilement le domestique Kissimba et le neveu de Mama Domina, Boulos, qui prennent le relais pour continuer les affaires de leur patronne.

 

Du côté des formes

En ce qui concerne leurs origines, les auteurs abordés dans cette étude proviennent de différents horizons géographiques de l'immense territoire de la RDC, la plupart d'entre eux gravitent néanmoins autour du large pôle constitué par la capitale qui, par rapport à une longue tradition didactique (celle de Katanga notamment, mais non seulement), "est plus ouverte aux expérimentations avant-gardistes et au développement d'une esthétique originale" (Kunda et Le Lay 27). En tout cas, outre la mise en scène de tout un éventail d'antagonismes sociaux, les préoccupations esthétiques constituent sans doute le second dénominateur commun de la plupart des pièces qui nous intéressent ici. Un bref survol des principaux procédés paraît ainsi utile, d'autant plus que l'inventivité de certains auteurs mérite d'être mise en évidence. Ceci dit, les innovations dramaturgiques proposées par les auteurs dont il est question ici ne vont pas au-delà d'un certain seuil de sophistication qui caractérise l'écriture théâtrale moderne dans d'autres aires culturelles du monde, puisque, comme nous l'avons déjà dit, on n'est pas encore là dans un système de désintégration totale repérable dans les productions francophones ultramodernes (celles de Sonia Chiambretto, Simon Diard, Pauline Picot, Philippe Malone, Jean Gagnard, Claire Gatineau et de bien d'autres auteurs du XXIe siècle).

Ce qui saute aux yeux, quand on lit les pièces congolaises contemporaines, c'est d'abord une grande variété stylistique qui s'y manifeste malgré une certaine récurrence thématique (conflits, violence, terrorisme, précarité, corruption, etc.). Le corpus ici examiné contient en effet des textes qui atteignent parfois un diapason très élevé (La dernière enveloppe), alors que d'autres s'inscrivent dans un régistre moyen (Les prisonniers d'Ekafela, L'Illusion, Tour de contrôle, Einsteinnette) ou dans une poétique-résolument et subtilement-terre-à-terre (Misère). Ces différences de style et de registre restent partiellement en corrélation avec les situations dramatiques explorées, les objectifs visés et le caractère des personnages mis en scène: un clochard ou un gardien de prison n'emploient pas le même langage qu'un charlatan professionnel ou une business-woman ultra-snob.

Quoi qu'il en soit, une tendance générale se laisse percevoir à travers tous ces textes: celle d'une esthétisation consciente qui consiste à parsemer le dialogue de petites particules linguistiques et de syntagmes plus complexes constituant autant de points forts du tissu textuel et permettant ainsi de susciter et de maintenir l'attention du spectateur. Bon nombre de ces trouvailles témoignent d'un grand talent de certains auteurs-notamment de Mujomba, Kasongo et Ilunga-dont l'invention verbale est par endroits remarquable et digne de louange. On note également, à travers le corpus, une autre caractéristique propre à toutes les dramaturgies déjà mûres, à savoir la propension à l'hétérologie: mélanges des genera dicendi et des langues, inserts intertextuels, introduction du lexique local, création des codes autonomes, allégories astucieuses, etc. Sur le plan structurel, enfin, un certain nombre d'expérimentations se laisse percevoir au niveau de la plateforme interlocutoire (monologisation, polylogues, etc.).

Hétérogénéité et variété énonciative

Que l'on parle d'hétérologie, d'hétéroglossie (Todorov 79), de diglossie (Le Lay) ou d'autres phénomènes de ce genre, on pense toujours à une sorte d'hétérogénéité énonciative (Authier-Revuz 98) ou d'hybridité discursive (Wamba; Noumssi 28) qui s'obtient par l'immixion dans un texte-énoncé-ici, dans le dialogue-de différents 'corps étrangers' vecteurs de voix et de langues autres que celles des interlocuteurs ou générateurs d'inflexions particulières. On en relève plusieurs cas dans notre corpus, mais nous en citerons seulement quelques-uns, les plus spectaculaires, à titre d'exemple. Dans Tour de contrôle, Mungrandi, "expert en aphrodisiaques", imite ainsi le langage publicitaire:

(Exhibant quelques sachets contenant poudres et racines, il fait la publicité comme à la télé.)

Chikassa 1: pour l'érection maximale.

Chikassa 2: pour la multiplication rapide des spermatozoïdes. Chikassa 3: pour une dilatation maximale de la verge. (52)

La publicité de chikassa n'est qu'un échantillon d'un long discours de bonimenteur qui se déploie sur les pages de Tour de contrôle. Le personnage clé, Mungrandi, dont nous avons déjà décrit l'omnipuissance et le rôle stratégique dans la diégèse, est en fait un brillant causeur qui sait embobiner sa clientèle avec art et même 'commercialiser' ses 'silences' (53).

Un autre exemple, un autre genre de discours: dans le dialogue de Un avec Deux (Einsteinnette) s'intercale la lecture d'un journal à travers laquelle on découvre une partie du contexte politico-social:

UN, le père: Oh! la farce! (Il lit) "Le peuple crie au scandale. Scandale socio-géologique, [...], scandale en énergie [...], scandale en bref."

DEUX, la mère: Qui est cet audacieux? UN, le père: "Le Mouchard"

DEUX, la mère: Wow! Il n'a pas emprunté son label, celui-là. [...]

UN, le père: "[...] Mes voisins chatouillent mes côtes, mes asphaltes ne chassent plus la pluie dans la terrasse, ils? en dégoulinent. Je décaisse mon cash pour réparer les casses [...] Eh, Mundele Ndombe, toi le blanc à la peau noire! [...]". (14-5)

La présence de cette 'greffe' dans le corps d'Einsteinnette opère une ouverture du microcosme scénique vers le macrocosme de la réalité ambiante. Focalisée uniquement sur la situation familiale des protagonistes, la pièce bénéficie ainsi d'une certaine extension spatiale. Nous oserions même dire qu'il serait souhaitable que cette technique soit utilisée plus fréquemment, de manière à pouvoir équilibrer les poids respectifs de l'en-scène et du hors-scène, car c'est bien à cela que sert habituellement l'hétérologie au théâtre. C'est dans le même esprit qu'Ilunga utilise la "lettre anonyme" (32-3) et le poème d'Ichiro Hatano cité par Trois dans la conversation avec Deux (29). Et c'est encore la même stratégie que l'on retrouve dans Les prisonniers d'Ékafela de Kombe où certaines séquences du dialogue se déclenchent à partir des commentaires diffusés par un poste de radio présent dans la cellule.

Pour agrémenter le discours, les dramaturges congolais font aussi appel à des procédés moins spectaculaires mais toujours efficaces dans la diversification de la couche verbale. Il s'agit là des passages où s'immiscent des parlers locaux, des langues étrangères, des manières individuelles d'expression, des défauts de prononciation, des 'contorsions sonores' (Scherer 94): "Ayo ... ayo ... ne m'appey pyus à zenuméyo, mon mayi est déjà de yetour.

Je dois changer de cayte ZIM ..." dit une 'voix téléphonique' dans Tour de contrôle (43). Une autre voix torture le français de manière analogue: "Ze ne r'attachepaz à mon rit ... c'est rui qui court derrière moi. Ir me trouve plus berre que toi" (56). Enfin, une troisième rapporte en anglais: "Hello ... yes ... I have exculpated the murder as you recommanded it ... I'm waiting for my fees" ("Bonjour... Oui... J'ai disculpé le meurtre comme vous l'avez recommandé... J'attends mes frais"; notre traduction.; 57). Des effets humoristiques ne manquent pas quelquefois d'accompagner ces intrusions hétéroglossiques, comme c'est le cas dans La dernière enveloppe:

Mama Domina: American fish, voilà ce que nous mangeons ici ... que dis-je, ce que weeathia. Pas de ces saltés de "mahara-

ki" et de "makayabou" qui sentent les bateaux [...] You andastand?

Kisimba: Yes, you andastand, my boss.

Mama Domina: Pendant que vous broutez la crasse, Domestique, nous autres, nous mangeons la classe, you andastand? Kisimba: Yes, you andastand, my boss. (26)

Le rôle de l'anglais dans La dernière enveloppe est du reste bien plus profond que celui d'un insert "exolingue" (Porquier 20). Ce que permet ici l'usage parodique de l'anglais, c'est surtout de ridiculiser le personnage clé, Mama Domina qui, sous les apparences d'une dirigeante aux ambitions cosmopolites, n'est qu'une simple criminelle passablement obtuse.

Invention verbale et codes autonomes

Lorsqu'on découvre, au début de La dernière enveloppe, que le menu du chien Mbwa Mabé comporte du "sang d'okapi", du "foie d'aborigène" et du "rôti du pigmée", une sorte de 'check engin' s'allume dans notre esprit: nous comprenons à ce moment là que la suite de la pièce nous réservera d'autres surprises de ce genre. Elles ne se font pas attendre longtemps, surtout que la souplesse du style de Mujomba parvient à nous maintenir sans cesse en éveil.10 Dès l'acte II, en effet, d'autres objets énigmatiques aux noms bizarres font leur apparition: l'or blanc, bleu, ultraviolet ... On y voit aussi le mari de Mama Domina, Mario Premier, contraint comme un simple élève à prendre de "petites leçons de vocabulaire" qui lèvent le voile sur une réalité des plus inquiétantes (voir aussi la première partie de ce passage dans la section intitulée "conflit social et pièce-machine"):

M. D.: [...] Définition commerciale du corps humain ...

M. P.: Le corps humain est la marchandise la plus précieuse de notre planète [...] le plus grand palmier à huile [...] Du cheveu à la cheville, toutes les parties du corps humain sont des ors, des cuivres, des niobiums, des coltans et des diamants.

M. D.: À quoi sert le commerce des organes humains?

M. P: À alimenter les laboratoires d'Europe, d'Amérique et d'Australie. (23)

Ainsi, la petite cour de la grande pharaone se dote-t-elle d'un lexique secret à usage interne, conçu pour camoufler non seulement le trafic des organes humains, mais aussi les mystérieuses opérations de leur 'extraction' qui s'effectuent durant les rituels présidés par le "Prophète Vivant, Son Eminence Odon Mulawatu et ses douze acolytes". Ce code secret joue un rôle fondamental dans le développement de l'intrigue, surtout à l'étape du démantèlement final des structures satanico-mafieuses échafaudées par la société 'élitiste' de Mama Domina regroupée autour du mystérieux "Contrat-Programme 214-412-241". Ajoutons ici entre parenthèses que le même procédé est utilisé aussi par Kasongo dans Tour de contrôle où les aphrodisiaques ne peuvent s'acquérir qu'après avoir prononcé la phrase chiffrée suivante: "Mon serpent longtemps enroulé ne peut ni se dérouler ni cracher" (50).

On pourrait consacrer de longs développements aux heureuses inventions de Mujomba, mais comme l'espace imparti à cette étude n'est pas illimité, nous citerons seulement quelques lignes du polylogue clôturant l'aventure:

Kisimba: Adios, Mama Domina; chacun son Amérique!

Mama Domina: Aaaaah! Mes vertiges Concorde ! [...] Mes troubles Sabena ! Mes céphalées Suissair ! [...]

Boulos: Allô! Allô! Hi, my friend!

Mama Domina (ralant): Aaaaaah! Mes convulsions Pan Am!

Boulos: Can I have Doctor Mike Dougall, please?

Mama Domina: Mes troubillons Camair !

Boulos: Doctor Mike Dougall of Washington ... Mama Domina: Mes hoquets Lufthansa !

Boulos: Boulos ... Boulos bin Pavasa! It is about Mama Domina ... [...]

Mama Domina: Mes troubles Samouraaaaaï! (70-1)

La dernière enveloppe représente un cas à part qui mériterait une plus vaste investigation, tellement le texte est riche et stimulant. En effet, sous le couvert d'une simple tragi-comédie rosse, il peut être lu comme une vague allégorie reflétant et flagellant non seulement l'action destructrice des forces locales qui collaborent à maintenir le centinent dans un "fledgling, neo-colonial state" (Osakwe 11), mais aussi l'entière structure du monde globalisé fondé sur le crime et les inégalités scrupuleusement programmées et mises en place avec méthode.11

Proverbes, dictons, sentences

Certaines pièces congolaises ici examinées ont un faible très marqué pour les expressions proverbiales et sentencieuses, ce qui est dû aux traditions orales qui continuent à irriguer la théâtralité africaine, ainsi qu'au fait que le proverbe, 'indice de cohésion sociale', a en Afrique une valeur "rassurante et même euphorique" (Scherer 64). Kunda et Le Lay insistent eux aussi dans leurs travaux sur le didactisme omniprésent dans la littérature dramatique africaine. Les proverbes et les structures similaires participent de manière évidente de ces intentions didactiques.

Il est évident qu'on ne saurait soutenir la thèse selon laquelle toutes les pièces de notre corpus tendent à s'organiser autour d'une ou de plusieurs sentences, mais il est tout aussi patent que ce genre de formules fait partie de l'arsenal rhétorique régulièrement mis à profit par les dramaturges congolais d'aujourd'hui. Voici quelques exemples repérés dans La Place des éperviers, pièce exceptionnelle sous ce rapport: "Les anges terrestres tirent à gauche" (1, 5, 21); "La vie est faite des choses inexplicables et impénétrable" (2); "La force de l'eau est détruite par la vaporisation en nuage que le vent chasse" (3); "La force de l'homme est neutralisée par la peur que le sommeil efface. L'amour détruit la mort" (3); "Un grand feu fort et incendier que les sapeurs ne maîtrisent pas finit par être éteint par une forte pluie" (3); "La faiblesse du faible est une puissance inépuisable" (3); "Il faut quelques années pour retenir le SCAR [...] Supporter ses [d'une femme] caprices. Comprendre ses inquiétudes. Accepter ses ordres. Recevoir sa soumission" (3, 8); "L'heure est inconnue/Le poisson sera pris au filet fatal/Les oiseaux pris au piège" (6); "La bouche qui parle trop ne manque pas de péché" (10); "Le silence du faible est une puissante bombe dangereuse. La force du puissant n'est qu'un feu de paille" (13); "On ne donne que ce qu'on a" (19); "Il [n'] y a de bonheur à l'homme que de manger et de boire. C'est sa part qu'il a sous le soleil" (20); "Celui qui veut la paix, prépare la paix, cherche la paix, trouve la paix et vit la paix/Celui qui veut la guerre, prépare la guerre, cherche la guerre, vit la guerre et meurt de la guerre" (22); "Nous sommes des héros ignorés"(25).

Ne serait-il pas possible d'affirmer, malgré une certaine dilution de toutes ces formules dans le dialogue de l'Homme et du Brigadier, que La Place des éperviers s'appuie sur une rhétorique sentencieuse? Il est clair que oui. Du point de vue du public local, cette rhétorique renforce encore davantage le potentiel dramatique de l'œuvre dans la mesure où celle-ci est vecteur d'une dramatisation inhérente comme l'observent les linguistes pragmaticiens et les folkloristes. Les premiers, comme Odebunmi, travaillant justement sur les proverbes dans le théâtre africain, y voient des 'pragmèmes' communicationnels spécifiques influant sur le développement de l'échange (avertissements, conseils); les seconds (Karasik) y décèlent "des représentations théâtrales en miniature" et des images des "situations axiogéniques" (26, 32). Les sentences listées ci-dessus ne correspondent-elles pas exactement à ce profil et ne font-elles pas penser à l'écriture désormais classsique de Ngandu Nkashama: "Il n'y a pas d'arbres qui tiennent contre la bourrasque [. ]" (9).

Plateforme interlocutoire

Avec la problématique de l'interlocution (Jacques), on passe à un niveau supérieur d'organisation textuelle, celui où le texte s'articule en répliques et unités plus complexes. Certes, on n'est pas autorisé à l'affirmer à propos de toutes les pièces de notre corpus, mais la plupart d'entre elles s'émancipent par endroits de la formule interlocutoire traditionnelle où un A parle avec un B à travers des canaux parfaitement transitifs ou 'transitables' et dans un espace-temps qu'ils partagent tous les deux. Nous avons déjà vu quelques lignes du polylogue final de La dernière enveloppe, où se manifestait une tendance à la choralité, mais d'autres exemples confirment la thèse (Voir la définition "a minima" proposée par Mégevant 37). Voici un bref extrait d'un long polylogue semblable qui clôt Einsteinnette:

Sur scène, les quatre personnages dispersés, presque immobiles dans une activité familière. Ils ne dialoguent pas. Pleurs de bébé. [...]

DEUX, la mère: Où est ta sœur, il faut que je lui parle?

TROIS, le frère: J'entends des voix. Peut-être des sons. Sauf que ce n'est pas ma guitare. (Pleurs de bébé)

TROIS, le frère: Nobody! For a long time. For a long, long time.

UN, le père: Qu'est-ce que c'est que ce thé?

TROIS, le frère: Ne pars pas !

UN, le père: Elle aura bientôt son Bac. (37-9)

Dans Tour de contrôle, ce genre de collage polyphonique va jusqu'à devenir un des principes compositionnels, puisque le texte de la pièce comporte cinq séquences presque autonomes où des "voix téléphoniques" se font entendre dans un pêle-mêle d'énoncés "désemboîtés" (Danan et Ryngaert 24):

- Allo ... ma femme voyage pour deux mois. A nous la liberté. Rendez-vous ce soir à 19h00 chez moi.

- Allo ... Bonjour professeur. Un échec non délibérable dans ton cours me priverait de gravir une marche. J'aimerais te rencontrer.

- Qui t'a donné mon numéro?

- Aro ... ze suis agressé ... au secours ... Aro M. R'inspecteur de ra porice. Aro ...

- Allo ... oui ... Appelle-moi dans une heure, ma femme est au salon.

- L'appareil de votre correspondant est soit volé, soit hypothéqué. (43)

On voit bien qu'il ne s'agit pas là d'une "interaction verbale" telle que l'entendent les conversationnistes (Kerbrat-Orecchioni), mais bien des bribes de conversation alignées sans ordre apparent, d'un patchwork d'extraits d'échanges, d'une "chambre d'écho traversée par la rumeur du monde", selon la formule métaphorique de Baillet (28). Cependant, ces quelques bribes suffisent pour annoncer le contenu de la pièce qui va se déployer par la suite: on est là, en effet, dans un quartier pauvre et 'bordélique' d'une ville (congolaise?) indéterminée, et dans une triste histoire d'infidélité avec, à la clé, les manipulations d'un téléphoniste-proxénète.

Outre les polylogues, on peut relever quelques autres formes intéressantes et dramaturgiquement fonctionnelles. L'une d'entre elles est la présence, dans le cadre participatif, des témoins non ratifiés, "bystanders'" ou "overhearers", le schéma du cadre participatif proposé par Kerbrat-Orecchioni (86). On repère des situations de ce genre à deux reprises dans Tour de contrôle où Mungrandi (48) et Lolita (59) interceptent des conversations qu'ils n'auraient pas dû entendre.

L'autre forme qui complexifie la structure de la plateforme interlocutoire est le dialogue rapporté à l'intérieur d'un monologue. Deux occurrences de ce procédé nous paraissent dignes d'être relevées: le long monologue de Trois dans Einsteinnette (19) où la fille rapporte une dispute familiale qui laisse percevoir l'ambiance tendue régnant au sein du foyer, et le monodiscours narratif de Mungrandi où celui-ci, en "imitant les voix", nous fait entendre la conversation de Pingo et Maria dans Tour de contrôle (59).

La technique suivante consiste à exploiter différentes possibilités offertes par l'introduction dans le texte de la pièce des passages chantés. Un peu détachées du flux principal de l'action-ou créant justement ce sentiment de détachement-les chansons amènent d'habitude un moment de détente poétique à fonctionnalité très variée. Ainsi, le "drum" de Trois dans Einsteinnette, nous conduit-il un instant dans l'univers intime du frère-artiste, univers bien distant des 'hypoténuses d'hyppopotame' dans lequel nous plonge l'insalubre admiration de Un pour Quatre: "Faut que je dégaine ! [...] / Ma caboche nucléaire, / Chargée! / Mon cœur peloton d'ogives, / Tic-tac !" et ainsi de suite (22-4). Utilisée un peu différemment, la chanson de la fille dans Misère: "Amour réciproque [...] / Quand bien même ils médisent de nous" (7), s'infiltre dans les rêves du Clochard 2 pour se muer imperceptiblement, dès qu'il se réveille, en Misère, figure allégorique et fantomatique qui hantera tout le dialogue des habitants de la décharge.

La quatrième stratégie, enfin, que l'on détecte dans Les prisonniers d'Ékafela de Kombe, est celle d'un montage de monologues qui, au fur et à mesure, se transforment en un dialogue régulier: "Hassan et Umberto sont chacun dans leur coin et, au début, se parlent à eux mêmes" (74).

Dialogue philosophique

Créée en 1985 à Kinshasa, Misère met en scène trois clochards "mi-fous, mi-philosophiques" (4me de la couverture). Cette définition-éclair de la situation est juste et signale que la pièce en renoue avec la longue tradition des dialogues philosophiques (de Platon à Ackroyd). En effet, les clochards de Nlandu Mayamaba Mbuya Thierry, campés dans un décor explicitement beckettien-"Le premier clochard dans un pousse-pousse, le deuxième dans un fût, juste à côté" (7)-mènent un débat stylistiquement fruste, dépouillé et synthétique, mais qui touche, comme il se doit dans un cas pareil, des questions fondamentales: Dieu, misère, bien, mal, justice, foi chrétienne, fidélité, sexe, débauche, inceste, hypocrysie, corruption, argent, morale, vingtième siècle, vitesse, péché, liberté, mort.12Tout ceci, dans un enchaînement de répliques ultra-courtes, simples et sentencieuses qui n'y vont pas par quatre chemins. On pourrait parfois reprocher à Mayamba un excédent de schématisme et de pathétisme, néanmoins il vise très juste à certains moments et sa pièce reste parfaitement actuelle. Le vingtième siècle, celui de la 'vitesse', de la 'contradiction', du 'sexe', de la'mise en bouteille', y est jugé très négativement: "Si Saint-Pierre pouvait revoir son Eglise... ! / - Quel nuage sur son autel !" (10); "Du temps de nos pères, les buissons abondaient. Mais jamais ils n'étaient souillés. De nos jours, plus de buissons, les routes sont éclairées et en dessous des poteaux ..." (23); "La nouvelle Misère. - Richement vêtue ... / - par la débauche incestueuse. / - Kapinga ! / - La fille de quize ans ... / - ... devenue majeure ... / - ... par ordonnance présidentielle !" (25); "Mieux vaut voler beaucoup à un pauvre que peu à un riche." (32); "La frousse est le dictateur ... / d'une société cloîtrée." (39); "[...] La loi est devenue l'acolyte du mensonge." (40)

Cela suffit; tout commentaire idéologique est superflu. Observons seulement une technique adialectique (Wolowski 51-4) dans la conduite du discours: des phrases divisées en segments dont chacun est attribué à un des trois interlocuteurs. Ce genre d'échange ne saurait même pas s'analyser en termes de "bouclage", proposé par Vinaver (903) et développé par Danan, puisqu'il s'agit là d'un simple partage des voix obtenu par une segmentation continue des énoncés, forme proche de ce que Danan appelle "dialogue narratif" (43).

 

Un bref examen des didascalies

La couche didascalique, composante fondamentale du texte dramatique, recèle souvent des éléments intéressants, dans la mesure où c'est surtout là que le dramaturge inscrit la 'pré-vision' théâtrale de son œuvre. "La tache du sémiologue [...] dans le domaine du théâtre, est de trouver à l'intérieur du texte des éléments spatialisés et spatialisables qui assurent la médiation texte-représentation", écrivait Ubersfeld (152). Hélène Laliberté redit exactement la même chose quand elle se propose de "dégager d'une œuvre [du texte dramatique] des particularités utiles et tangibles pour une mise en scène" (133). C'est ce que l'on pourrait appeler lecture scénologique du texte dramatique. Essaysons donc de voir ce que l'on peut retenir des indications scéniques présentes dans les textes de notre corpus.

Théoriquement, tout projet de mise en scène inscrit dans le texte devrait intéger tous les principaux "langages" théâtraux, selon les bons vieux préceptes de l'harmonie intersémiotique (Ingarden 533) et de la convergence des codes (Bogatyrev 530). Cependant, chaque situation dramatique particulière suppose une configuration intersémiotique optimale: un choix précis de dominantes codiques. Ainsi, est-il logique que certaines pièces de théâtre accordent une place privilégiée aux effets sonores, d'autres aux effets lumineux, d'autres encore au jeu des accessoires.

Son

Jonathan Kombe, pour commencer par les situations les moins compliquées, mais très exigeantes scénographiquement, témoigne d'une préférence pour l'exploration de la phonosphère ou sonosphère, comme le dirait Mervant-Roux. Enfermés dans leurs cellules, les protagonistes des textes de Kombe n'ont, en fait, qu'une perception limitée (sonore) du monde qui les entoure. Les bruits de la rue (5) et des assiettes (10), la "musique" accompagnant le récit de la manifestation du peuple salemaboen (14), les cris du brigadier et les sonneries de son portable constituent le principal "décor" dans La Place des éperviers. Dans Les prisonniers d'Ékafela, seules les voix radiophoniques et quelques autres bruitages (hélicoptère, explosion) apparaissent dans le 'soundscape' textuel de la pièce. Des effets plus complexes sont à noter dans Misère: la figure allégorique éponyme y "naît" du chant de la jeune fille (7); une cloche retentit juste au moment d'une prière (9); un bêlement de la chèvre s'associe sémantiquement à la corruption (31); des chants de deuil et des pleurs font un contre-point ironique aux funérailles grotesques de Budi "tué" par son médecin et par la "fatigue de payer" (36).

Mais ce qui est remarquable dans Misère, pièce rédigée avec un sarcasme hautain et un détachement brechtien, c'est l'extrême variété des tons et des inflexions vocales qui changent constamment, tel un kaléidoscope. Voici les notations didascaliques désignant le mode d'expression des clochards: "calmement, enjoué, mélancolique, solennel, avec dégoût, blagueur, avec un rire complice, en apparté, outré, sur le ton de la confidence, hurlant, désemparé, fou de joie, souriant, inquiet, énérvé, surpris, se bouchant le nez, sèchement, ébahi, se lamentant, menaçant, amusé, imperturbable, effondré, aux allures militaires, furieux et déconcerté, faussement amical, ironique, désespéré, sarcastique".

Ce jeu des tonalités affectives rappelle les arabesques tonales de Jean Vauthier (Bada), et il constituerait, il faut bien le souligner, un grand défi au niveau de la mise en scène.

Lumière

Les auteurs ici examinés s'adonnent parfois, aussi bien à travers les didascalies qu'à travers le dialogue, à des opérations sémiotiques intéressantes basées sur les effets lumineux. Le jeu du clair-obscur domine. Dans Misère, avec les mots "tout se fait dans la clarté. Et quelle clarté" (Clochard 2), le noir vient subitement-et ironiquement-interrompre la scène et déconstruire le discours: "[clarté] ... remplie d'obscurité", précise aussitôt Clochard 1 (24). Notons en outre que le changement d'éclairage (fonction modale de la lumière par opposition à sa fonction déictique) pourrait, tout au long de cette pièce, marquer les nombreux jeux de rôles effectués par les trois protagonistes (leurs "scénarios"). Ce procédé est d'ailleurs explicitement signalé à deux reprises: "Obscurité totale" (42), et "La lumière baisse" (45).

Une opération analogue, quoique visant d'autres effets sémantiques, est plusieurs fois réitérée dans Einsteinnette où les moments de conscience et d'angoisse, rendus sous forme monologale, coïncident avec les coupures de courant, les assombrissements de la scène ou la simple présence de la lampe (17-9, 29, 36). La fille-lumière qui "a illuminé son père avec son cogito" (19), n'apparaît-elle pas ainsi sous un jour assez gris? Le noir, au théâtre-ne l'oublions pas-est "matière et lumière" (Perruchon 181).

Objet

Le dispositif scénographique programmé dans le texte de la La dernière enveloppe, sans doute le plus sophistiqué de tous ceux que nous venons de voir, réunit toutes les composantes du langage théâtral. Il importe cependant de souligner que la place centrale revient ici à l'accessoire, à l'objet, aux choses. On doit d'abord imaginer l'incroyable empire de Mama Domina: dizaines de villas luxueuses, parkings, piscines suspendues, dépôts, avions, faune sauvage, chaînes musicales, bouteilles de whiskey, ordinateurs, caméras, coffres-forts, télécommandes, etc. Bref, un monde à la fois technicisé au possible et orwellien. Il est vrai que le texte de Mujomba met en place un décor parlé, une scénographie verbale, plutôt qu'un système de praticables, néanmoins une bonne mise en scène de la pièce-unique par son humour, forte par son message et ultramoderne par son set-exigerait un projet scénique grandiose, menaçant, technocratique, et non nécessairement 'africain', puisque La dernière enveloppe a une portée universelle. Pour voir à quel genre de difficultés se heurterait ici l'éventuel metteur-en-scène et son équipe, lisons la dernière didascalie:

Quatre coffre-forts se brisent sur le bar. Un serpent sort de l'un d'entre eux et menace Boulos avant de se changer en plusieurs kilos de pièces de monaie [...] Des sirènes sonnent de partout. Des tiroirs s'ouvrent, libérant leur cargaison de billets et de pièces, et se referment, tout comme s'ouvrent et se referment les portes et les fenêtres. Les lumières dignottent, multicolores. Prise de convulsions, Mama Domina tombe comme évanouie sur la moquette. Une pluie de billets recouvre tout et l'ensevelit. Boulos essaye de l'endégager et de la remettre, comme une chose, sur le canapé, au milieu d'un orage de billets fous, d'une virevolte infernale d'arcs-en-ciel, d'édairs et de tonerres, d'un festival de coffre-forts enragés et d'un concert cacophonique de cris d'animaux féroces et de sirènes. Le rideau tombe sur cette apocalypse. (71)

Par le fait qu'elle touche, défait, écrase et accuse, cette tornade de billets qui emporte tout ce monde objectal (et faussement humain), n'a-t-elle pas une vraie dimension "psycho-plastique" postulée jadis par le génial scénographe thèque, Josef Svoboda (1992)?

 

Conclusion

La "nouvelle dramaturgie" de la République Démocratique du Congo, selon l'expression de Israël Tshimpamba Mouckounay, est sans doute un phénomène plus large et plus complexe que ce que nous avons tenté de présenter dans cette étude. De plus en plus de textes paraissent sur le marché éditorial, même s'ils n'arrivent pas toujours à percer et se faire reconnaître à l'échelle mondiale. Les textes examinés ici, sauf peut-être deux exceptions, nous semblent avoir atteint un certain degré de visibilité ainsi qu'une qualité comparable à celle qui caractérise l'écriture dramatique contemporaine considérée au niveau universel. Représentant chacun une forme différente, parfois très sensiblement différente, ces textes semblent pourtant partager deux propriétés essentielles. En effet, chacun de ces textes repose sur un antagonisme plus ou moins violent et propose des solutions esthétiques intéressantes qui témoignent d'une évidente recherche d'innovation. La notion d'innovation est bien entendu à prendre avec une certaine précaution, dans la mesure où il s'agit ici de procédés, certes modernes, mais s'inscrivant, tout compte fait, dans le cadre d'une vision assez traditionnelle, si l'on les compare à ceux utilisés dans les réalisations issues de la postmodernité. La tendance à moderniser est pourtant évidente et elle se fait justement à travers le perfectionnement des techniques dramaturgiques. Le fond idéologique, lui, reste le même.

Même si l'on pouvait croire qu'avec le temps, les blessures historiques et sociales se cicatrisent et que l'intérêt doive migrer vers des sujets moins douloureux et plus réflexifs, il n'en est rien. Les nouveaux dramaturges congolais édifient leurs œuvres autour des situations de heurt violent, de télescopage frontal, de confrontation permanente, en s'inscrivant ainsi dans la lignée de leurs confrères aînés. Qu'il s'agisse de conflits civilisationnels (Misère), politiques (Prisonniers d'Ekafela), sociaux (La dernière enveloppe), religieux (L'Illusion) ou familiaux (Einsteinnette, Tour de contrôle), c'est invariablement une guerre, une trahison, une tricherie, une violence qui servent de matrice thématique aux textes congolais contemporains. La vision du monde qui s'en dégage est, dans l'ensemble, assez grise, déprimante et inquiétante malgré tous les efforts entrepris par les auteurs en vue d'une exorcisation ou, du moins, d'un amortissement. Celui-ci semble s'accomplir entre autres par des recherches formelles conduites délibérément et, parfois, avec un succès évident (La dernière enveloppe, Tour de contrôle). Sur ce versant rhétorique et technique, on découvre en effet de nombreux procédés et stratégies qui rendent un peu moins désolant ce vaste champ de bataille. Trouvailles linguistiques originales, formules proverbiales, usage des nouvelles technologies, recours à des dispositifs interlocutoires complexes, effets de lumière, de son, de rythme-autant d'éléments qui rehaussent la valeur intrinsèque des 'nouveaux' drames congolais et qui les intègrent de plain-pied? au patrimoine théâtral mondial.

 

Remerciement

Nous remercions ici Maëline Le Lay qui nous a fourni des informations importantes à propos de certaines initiatives de recherche dans le secteur qui nous intéresse ici.

 

Notes

1 . Voir à ce propos un bref interview avec Rogo Koffi M. Fiangor ("Paroles d'auteurs") relatif à son étude intitulée Théâtre africain francophone qui brasse 30 ans de l'écriture théâtrale africaine (1967-97). Les "dysfonctionnements" dont parle l'auteur sont ceux du grand Concours dramatique interafricain.

2 . Les ouvrages monographiques (Conteh-Morgan; Mumbal'Ikie; Gray), se concentrent sur la composante idéologique, et ne font aucun état des dramaturgies strictement contemporaines. L'étude de MacDougal sur Mwondo Théâtre relève explicitement de l'analyse du spectacle et de l'histoire culturelle. Celles de Muikilu Ndaye, Le Lay et Kunda, Le Lay, tout en déblayant un vaste terrain (Katanga), ne touchent pas au corpus ici en cause (Kinshasa) et ce sont encore, essentiellement, des "aperçus historiques". Historiquement parlant, Le Répertoire bibliographique du théâtre en RDA de Muikilu Ndaye ne va pas outre 1993 et ses autres travaux de synthèse (Le théâtre en République Démocratique du Congo de 1905 à 1960: des initiatives missionnaires aux appropriations locales. Matériaux pour une histoire culturelle et "La hiérarchie catholique et la pratique théâtrale au Congo belge") embrassent la période 1905-60. Parmi toutes ces contributions précieuses, mais limitées dans le temps aussi bien que dans le champ focal, c'est seulement la dernière en date, celle de Kunda Mutoki qui affiche, dès le sous-titre, un intérêt prononcé pour le 'personnage' et, en général, pour les moyens d'expression artistique.

3 . Jonathan Kombe Kukya (né en 1961 à Kisangani), criminologue de formation, est acteur, auteur et cinéaste. Fondateur de la Compagnie Théâtrale "M'Majuscule, membre de Tarmac des Auteurs, après la période théâtrale, à présent, il se consacre essentiellement au cinéma. Son objectif est la formation des enfants aux arts scéniques et audiovisuels.

4 . Le nom de ce lieu peut renvoyer au jeu vidéo Word of Warcraft où dans les Royaumes de l'Est, dans la ville de la horde, dans la Zone des Bois des Chants éternels, nous pouvons trouver "La Place de l'Épervier". Cette référence viendrait à l'appui de l'hypothèse sur l'omniprésence de toute sorte de conflit dans cette jeune dramaturgie.

5 . Mumbal'Ikie Namupot Mas (né en 1953 à Mbeni) est docteur ès lettres à l'Université de Kinshasa et l'Université Paul Verlaine à Metz. Auteur de nombreux articles scientifiques, il est professeur associé et enseigne à l'Institut supérieur pédagogique de Kikwit et de Bulungu.

6 . Depuis la révolution des années '50 du XX siècle entamée par Ionesco, Beckett, Genet, etc., on observe une extraordinaire flambée des formes hybrides dans le théâtre français (Wolowski, "Du texte dramatique au texte narratif").

7 . Célestin Kasongo (né en 1969 à Kolwezi) est acteur de théâtre et écrivain. Il dirige une troupe amateure à Lubumbashi et donne des cours de chimie.

8 . David-Minor Ilunga (né en 1986 à Kinshasa) est économiste, comédien et écrivain. Il est également membre du Tarmac des Auteurs et bénéficiaire du projet "Les écritures kinoises".

9 . Pierre Mumbere Mujomba (né en 1956) est comédien, metteur en scène et écrivain. Il a fondé et dirigé plusieurs compagnies de théâtre au Nord-Kivu, à Kisangani et à Kinshasa. Lauréat de plusieurs prix et concours, actuellement il vit aux États-Unis.

10 . Il n'est pas étonnant que la pièce ait obtenu le Grand Prix du concours "Découverte RFI Théâtre Sud 99".

11 . Allégorie, comme on le sait, peut être entendue de manière très large. Dans le domaine de l'allégorie théâtrale, il est utile de se référer aux travaux de Campana où l'auteur passe en revue les différentes définitions du terme: "extended metaphor", "other speak or doublespeak', "veiled communication", "protean device", "generation ofnarrative structure out of wordplay", "ritudizedform of information processing", "phenomenologically simultaneous appearance of two things in the same image" (327).

12 . Nlandu Mayamaba Mbuya Thierry (né en 1954) est actuellement professeur de littérature anglaise et américaine à l'Institut Supérieur Pédagogique de Kinshasa, et animateur de plusieurs troupes de théâtre dans cette même ville.

 

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Submitted: 6 May 2020
Accepted: 5 December 2020
Published: 3 May 2021

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