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Tydskrif vir Letterkunde

On-line version ISSN 2309-9070
Print version ISSN 0041-476X

Tydskr. letterkd. vol.51 n.1 Pretoria Jan. 2014

 

DOSSIER

 

Une Joute verbale traditionnelle de Côte d´Ivoire sur internet à l´aube des années 2000

 

A traditional oral contest in Ivory Coast on the web in the early 2000

 

 

Jean Derive

Professeur émérite de l´Université de Savoie et chercheur au LLACAN (Langage, Langues et Cultures d´Afrique Noire) est l´auteur ou le coordinateur d´une dizaine d´ouvrages sur la littérature orale africaine. Email: jean.derive@orange.fr

 

 


ABSTRACT

This paper deals with a genre consisting in a traditional contest of conventional insults produced in Ivory Coast and called gate-gate (insulting is translated gâter le nom in local French). The gate-gate, born in an urban context of interethnic and interlinguistic hybridity, is performed in a variant of local popular French called Nouchi (a sort of pidgin, mixing French and main local languages: Agni-Baoulé, Bété, Dioula, Gouro ...) and mainly used by young people. This genre appeared in the 1 990s when the political perturbations began in Ivory Coast after the death of President Houphouet-Boigny. In the early 2000, it migrated to the web to be practiced by the Ivorian diaspora dispersed across the world. This study analyses how the web promotes the rules of the gate-gate in form and content, with the modalities of communication specific to this new media, as well as the evolution of this genre´s functions, which becomes a sign of cultural solidarity and complicity.

Keywords: cathartic alliance, code switching, cultural solidarity, diaspora, new media, oral contest (gate-gate).


 

 

L´une des préoccupations de la 9e conférence de ISOLA étant d´étudier les transformations des performances orales canoniques en Afrique dans le cadre de la modernité et de la globalisation, avec de nouveaux supports et de nouveaux publics, il nous a paru judicieux de nous intéresser au cas du transfert sur un site web d´un genre consistant en une joute d´insultes rituelles1 qui se pratique dans les milieux urbains de Côte d´Ivoire sous forme d´un jeu donnant normalement lieu à des performances orales.

Avant d´envisager la question du passage de ce genre d´un mode de communication orale directe à un mode de communication écrit médiatisé par internet, je vais d´abord en présenter la genèse sous la forme selon laquelle il se pratique originellement.

Les joutes ludiques dont nous allons parler ont connu un grand succès en Abidjan, puis dans quelques grandes villes de Côte d´Ivoire (Bouaké, Korhogo ...) dans les années quatre-vingt-dix, c´est-à-dire au moment où la Côte d´Ivoire a commencé sa déstabilisation politique et ses luttes interethniques, à la succession d´Houphouet-Boigny et ce n´est sans doute pas un hasard. Ces joutes sont héritières de genres oraux approchants qui ont cours dans la culture verbale de plusieurs grands groupes ethniques de Côte d´Ivoire (Agni-Baoulé, Bété, Dioula, Gouro ...) et qui sont alors exécutés dans les langues vernaculaires correspondantes. Il existe notamment un jeu traditionnel semblable chez les Dioula, pratiqué par les enfants, où l´on s´échange des litanies d´insultes plus ou moins figées et qui s´appelle ko fili.

Mais, dans le milieu urbain, où le brassage ethnique est de rigueur, afin de permettre leur exécution dans un cadre transculturel, les joutes qui retiendront ici notre attention se disent, quant à elles, dans une variante de français populaire et non conventionnel, utilisé surtout par les jeunes et appelé « nouchi »2. Il s´agit d´un parler instable et en constante évolution. Le français populaire local (encore dénommé « français de Moussa » ou « petit français ») est en effet l´une des stratégies qui, dans les grandes villes de Côte d´Ivoire, permet aux habitants d´origines diverses de communiquer entre eux, l´autre étant le recours au dioula, la langue des gens du Nord qui est aussi celle du commerce et qui joue parfois le rôle de langue véhiculaire. Mais, dans le contexte des années 2000, où la Côte d´Ivoire est en situation de quasi guerre civile opposant frontalement les populations du Nord à celles du Sud, le dioula est trop connoté et la plupart des genres de la néo-oralité urbaine sont interprétés préférentiellement en nouchi qui, outre le français local, contient de nombreux emprunts lexicaux voire syntaxiques à plusieurs grandes langues du pays, particularité qui peut être ressentie comme un facteur d´unité nationale dans un contexte de division.

Exécuté in praesentia, le jeu consiste à opposer deux adversaires qui s´échangent des insultes puisées dans un répertoire connu et mémorisé. Les plus créatifs des joueurs peuvent aussi à l´occasion enrichir le répertoire par l´invention de nouvelles insultes, à condition qu´elles obéissent parfaitement au modèle canonique du genre. Il s´agit très majoritairement d´insultes relatives aux traits physiques de l´adversaire, plus rarement à des particularités morales ou psychologiques (insultes sur la bêtise, sur le manque d´instruction, sur les manières rustres ...). Une règle implicite veut cependant qu´elles soient parfaitement arbitraires et il est même conventionnellement interdit de railler une tare réelle que pourrait avoir l´un ou l´autre des compétiteurs. Il s´agit donc avant tout d´un jeu de mémoire et de créativité. Les échanges doivent se faire du tac au tac et, a perdu le duel, celui qui finit par mettre trop de temps à donner sa réplique, éliminé par un arbitre qui juge le délai trop important.

Les répliques du répertoire obéissent au même moule matriciel :

Ton/ ta/ tes/ votre/vos + trait objet de la raillerie + on dirait + image dépréciative

A partir de ce noyau matriciel, il est possible de broder en ajoutant avant ou après des séquences discursives plus ou moins longues.

Exemples:

Cas n° 1 (insultes physiques) :

Toi, gaou3 là, tu te prend4 pour qui avec ton visage on dirait gorille qui se masturbe avec Matlatom5.

Toi, ta figure on dirait Ebrié6 enfant batard ramassé dans l´enceinte d´une église.

Cas n° 2 (insultes morales) :

Tu es bête on dirait tu n´a pas fait CP17.

On trouvera dans l´exemplier en annexe un échantillon plus développé des insultes du répertoire qui permettra de se faire une idée de ce moule matriciel. Si on veut créer de nouvelles insultes, on doit donc obligatoirement se conformer à ce modèle et trouver des images évocatrices.

Ce jeu est dénommé « gate-gate » en nouchi du fait que, dans le français populaire local, « gâter le nom » veut dire « insulter ». La répétition du mot de part et d´autre du trait d´union suggère la règle de l´échange du tac au tac. Ces joutes ludiques sont surtout pratiquées chez les jeunes, enfants et adolescents des deux sexes, quel que soit leur niveau d´instruction. Il semble cependant que le milieu scolaire ait été favorable au développement du genre. Celui-ci a la même fonction que celle des genres approchants existant dans les cultures et les langues locales, non seulement en Côte d´Ivoire mais dans toute l´Afrique de l´Ouest et en particulier au Sénégal où elles sont très prisées. Comme toutes les joutes ludiques de ce type et en particulier les échanges de ce qu´on appelle parfois la « parenté à plaisanterie » et que l´ethnologue français Marcel Griaule (251) dénomme plus généralement « alliance cathartique » du fait qu´elle concerne non seulement les relations entre parents mais aussi entre lignages et entre ethnies, la fonction du « gate-gate » est effectivement d´essence fondamentalement cathartique. Par le jeu, on se purge de son agressivité en disant des paroles normalement agressives dans le cadre d´un pacte ludique où elles ne prêtent pas à conséquence. En admettant par convention qu´entre des partenaires socialement prédéfinis, dont les relations pourraient justement avoir toutes les raisons d´être agressives dans la réalité, il est en quelque sorte recommandé de s´insulter « pour rire », d´une certaine façon, l´insulte, la vraie n´est plus possible ou devient en tout cas moins facilement identifiable.

Le genre du gate-gate présente toutefois une différence sensible avec l´alliance cathartique traditionnelle étudiée par les ethnologues. Dans ce premier cas, les partenaires qui peuvent et même doivent échanger des railleries sont socialement définis au préalable par des relations interethniques ou interlignagères ; tandis que la pratique du gate-gate par des jeunes en milieu urbain n´implique plus une relation sociale prédéterminée ; elle est fondée sur le consentement des partenaires de la communication qui affirment qu´ils « jouent à s´insulter ». Par conséquent, à la fonction cathartique traditionnelle s´ajoute le sentiment du partage d´un code culturel commun fondé sur la mutuelle connaissance des règles de ce jeu. De facteur de discorde qu´elle est habituellement, l´insulte devient donc, dans ce cadre rituel, facteur de complicité et de solidarité. De ce point de vue le gate-gate abidjanais peut être rapproché des joutes que les rappeurs américains pratiquent déjà depuis des décennies sous le nom de « battling » « battle ».

On peut considérer qu´en l´occurrence, et par comparaison avec d´autres genres proches dans d´autres cultures, le gate-gate ivoirien est bien un genre de littérature orale dans la mesure où les insultes doivent obéir à des canons prédéterminés (un peu comme les poèmes à forme fixe qui ont connu leur heure de gloire en Occident). En outre, le stock d´insultes du répertoire préexistant fait état d´une multitude d´expressions imagées fort savoureuses et aux métaphores astucieusement motivées témoignant d´une poéticité très inventive. D´ailleurs, comme on l´a vu, la créativité est toujours possible au cours de la joute, puisque les compétiteurs ont le choix de puiser leurs insultes dans le fonds du répertoire communautaire ou d´en créer de nouvelles scrupuleusement fidèles au moule canonique, les plus réussies de ces dernières étant appelées à venir enrichir un répertoire qui est très labile.

Pour ce qui est d´Abidjan et des grandes villes de Côte d´Ivoire où le gate-gate se pratique couramment, il ne fait pas de doute que sa naissance et son succès sont précisément liés au contexte politique particulièrement tourmenté de l´époque. La fonction cathartique du genre est en effet apparue d´autant plus nécessaire que beaucoup d´Ivoiriens, en particulier des jeunes, éprouvaient plus ou moins consciemment le besoin de désamorcer en partie les conflits interethniques pour tenter de sauver malgré tout une certaine unité nationale. L´utilisation du nouchi, langue hybride et interethnique, contribuant encore à renforcer cette recherche d´unité.

C´est en 1999 que ce jeu du gate-gate est aussi apparu sur un site web (nouchi.com) qui a disparu dans les années subséquentes. La disparition du site n´implique pas nécessairement la disparition de la pratique sur internet qui a pu tout à fait se déplacer sur d´autres réseaux sociaux8.

Ce transfert d´un mode d´expression orale directe et immédiate à un mode de communication écrite et médiatisée implique qu´on ne puisse plus, dans ce nouveau contexte, parler d´oralité au sens strict, puisque le canal a été modifié. Il nous semble toutefois que c´est bien toujours de culture orale qu´il s´agit puisque c´est là que le répertoire des insultes échangées puise sa source et qu´elles restent conformes à celles qui s´échangent oralement in praesentia. On peut à tout le moins parler « d´oralité seconde », selon l´expression employée par beaucoup de chercheurs (Ong ; Zumthor) pour désigner ces modes d´expression médiatisés. Cela peut d´autant mieux se justifier que la langue utilisée dans ces échanges sur le web est toujours le nouchi, qui n´a pas vraiment de tradition écrite et qui reste très proche de la langue orale.

Cela dit, ce nouveau contexte de production et de consommation du genre en modifie assez considérablement les conditions d´exercice : les compétiteurs n´ont plus qu´une présence virtuelle et la pratique du jeu n´est plus seulement duelle mais plurielle, du fait que tous les internautes qui connaissent l´adresse du site et les règles du jeu peuvent entrer en lice à tout moment. Cela veut dire qu´il n´y a plus vraiment de joute avec un enjeu, mais seulement des échanges ludiques où il n´y aura ni gagnant ni perdant. Comme, en outre, la plupart des participants interviennent sous le couvert de pseudonymes (John Bri, Crazy-d, L´inspectah, Opray, Spanish, Prouprou Lambert .), ces échanges sont plus anonymes que dans la modalité orale du jeu où les duellistes sont en présence l´un de l'autre et souvent capables de se situer socialement l´un l´autre en termes d´âge, d´ethnie, d´éventuelles relations à plaisanterie etc.

En outre, ce passage de la communication duelle à la communication polyphonique a pour conséquence que la règle de la réplique du tac au tac n´existe plus, si bien que, dans une même intervention, un joueur peut enchaîner plusieurs insultes du répertoire comme dans l´exemple suivant :

Crazy-d : Ton crane qui brille on dirait tu as mis Matlatom de tantie Fatou dessus la

[...] ta nuque on dirait climatiseur Samsung la [...] ta pine on dirait cocotier de grand bassam petit joueur ... (31.8.2002 ; 1 : 53 : 27)

Même si la communication par internet permet une réactivité assez rapide (il est possible de répondre par retour et le récepteur peut recevoir cette réplique presque dans l´instant), elle n´est toutefois pas comparable avec celle de l´oralité in praesentia et la règle du tac au tac ne peut plus être maintenue stricto sensu dans la mesure où les joueurs ont malgré tout un temps de réflexion assez long avant d´envoyer leur réponse. C´est ce que montrent d´ailleurs les dates des messages qui s´échangent (elles sont toujours mentionnées sur le web) : celles-ci font apparaître qu´il s´écoule parfois vingt-quatre heures et plus entre deux interventions d´un même joueur. C´est une des raisons supplémentaires qui font que, selon ces nouvelles modalités, le jeu perd en grande partie son caractère de joute.

Cette distanciation due au mode de communication par internet permet en outre aux participants de prendre un certain recul par rapport à l´échange et ouvre la voie à un métadiscours sur le jeu lui-même qui présente évidemment un grand intérêt pour mieux comprendre sa fonction dans ce nouveau contexte. Ce sont souvent des rappels à l´ordre des règles du jeu :

Opray : Les insultes ne sont pas jolies [.] Mais frerot ce site n´est pas là pour ça c juste pour se gater et je crois sincerement ke je fais honneur aux règles dictées... tu devrais bien relire tes pages et sans nul doute tu te rendras cpte de l´aberrance de ce ke tu dis. (31.8.2002)

De même, lorsque les échanges dévient, des internautes ivoiriens interviennent :

L´inspectah : Votre gate-gate s´embourgeoise on dirait garden-party. (13.8.2002) Opray : Pauvre mauviette : ce n´est qu´un jeu ici alors n´aie pas peur, sauve-toi et ne reviens plus. Enfoiré des égouts, nous nous chargerons de te trouver un nom, ok.

D´autres exemples rappellent les bornes à ne pas dépasser. Ainsi Spanish invite un des participants à ne pas utiliser les insultes concernant la mère (du type : le con de ta mère est comme le marché de Treichville9) :

Spanish : eh, djah, on a dit fo laissé affaire de vieille mère là fo arrêté de l´insulter elle est déja préoccupée de ta présence sur le gate. (13.8.2002)

Le risque que le gate-gate dégénère en banal « chat » sur internet, où sont échangés des avis sur la politique ivoirienne, sur la nourriture dans d´autres pays que la Côte d´Ivoire, sur les femmes en général, sur des considérations morales est visiblement le souci des vrais joueurs, comme en témoignent divers échanges qui, à maintes reprises, rappellent l´objectif du site :

Prouprou Lambert : [...] nous sommes pas là pour parler du traintrain quotidien mais pour nous INSULTER !!!!!!10 (16.7.2002)

Tous ces commentaires ont aussi leur intérêt dans la mesure où ils permettent de savoir un peu mieux qui sont ces internautes. Il ressort de ces conversations que ce sont naturellement des Ivoiriens, essentiellement de sexe masculin, qui pour la très grande majorité vivent en dehors de leur pays. Ceux qui fréquentent le site semblent être de jeunes hommes (entre 18 et 30 ans), sensiblement plus âgés que ceux qui pratiquent le jeu oralement en Côte d´Ivoire, probablement en grande partie des étudiants achevant leurs études à l´étranger, mais aussi parfois de jeunes cadres qui, au terme de leurs études, ont trouvé un travail dans un autre pays. Ce sont tous des gens d´un certain niveau d´instruction comme le montre une brève analyse linguistique des énoncés de leurs répliques. S´ils prennent en effet des libertés avec l´orthographe et la syntaxe (ce que font les internautes francophones de tous pays et sur tous les sites : c pour c´est, ke pour que etc.), recourant souvent aussi à des formes non conventionnelles du parler populaire local, ce n´est pas par incapacité de s´exprimer dans un français académique. En témoigne, dans leurs interventions, au plan du lexique, de l´orthographe ou de la syntaxe, le passage fréquent d´une langue non conventionnelle à une langue plutôt châtiée. S´ils utilisent des formes du parler populaire, ce n´est donc pas à l´évidence un problème de compétence mais le fruit d´un choix délibéré pour retrouver quelque chose de la tonalité du pays absent. En prolongeant sur le web la pratique d´un jeu auquel ils se sont adonnés dans leur jeunesse, il y a bien sûr l´expression d´une nostalgie d´autant plus forte qu´ils peuvent se sentir plus ou moins déracinés. Leur souci de respecter les règles et de garder au genre les traits majeurs de sa personnalité originelle va dans le même sens et est l´indice d´une volonté de maintenir un lien avec leur culture patrimoniale.

Par conséquent des deux fonctions du gate-gate que nous avons envisagées, la fonction de catharsis et la fonction de solidarité culturelle, le transfert sur internet marque en quelque sorte une inversion hiérarchique. Pour les membres de la diaspora ivoirienne qui pratiquent le jeu sur le web et qui n´ont pas entre eux de relations sociales structurées autres que la commune appartenance à la nation ivoirienne, la fonction cathartique, essentielle à l´oral, devient relativement secondaire, puisque, ne se connaissant pas, les partenaires n´ont aucune raison d´être agressifs les uns envers les autres. D´ailleurs comme nous l´avons dit, sur la toile, le jeu perd son caractère de joute et la rivalité entre compétiteurs n´a plus lieu d´être. En revanche, pour ces gens qui se trouvent coupés de leur culture par un séjour plus ou moins prolongé à l´étranger, la fonction de connivence culturelle, fondée aussi bien sur le partage d´un parler local spécifique que sur la connaissance commune d´un répertoire et des lois d´énonciation d´un genre canonique, devient essentielle. D´un genre catharthique, le gate-gate, sur le web, est donc devenu plutôt, sous son apparence agressive, un genre hypocoristique dont la fonction est essentiellement de recimenter une communauté déracinée et dispersée aux quatre coins du monde. C´est sans doute la raison pour laquelle, on trouve sur le site tant de commentaires qui rappellent les règles du jeu et qui manifestent le souci d´un risque de son dévoiement.

 

Notes

1. Sur la notion d´insultes rituelles, voir Labov.

2. Le terme a déjà été signalé par Simard. L´origine de ce mot pourrait être du verlan et signifierait « chez nous », façon de suggérer qu´il s´agit d´un parler local à forte charge identitaire. Sur les propriétés linguistiques de ce parler en formation, voir N´Guessan et Ahua. Voir Bonvini ; Derive Le Français-façon ; Derive et Derive ; Hattiger ; Knutsen.

3. En nouchi, un gaou est un pauvre type, mal dégrossi.

4. L´orthographe fautive est bien celle de l´original sur le site web. Nous reproduirons toujours l´orthographe originelle.

5. Marque de crème nettoyante en Côte d´Ivoire.

6. Nom d´une ethnie du sud de la Côte d´Ivoire.

7. Cours Préparatoire lére année. En Côte d´Ivoire le cours préparatoire se fait sur deux ans.

8. Le site remanié est aujourd´hui sur internet avec photos et videos et il y a aussi le pendant sur Facebook.

9. Quartier d´Abidjan.

10. Les majuscules sont dans le texte.

 

Références

Ahua, B. Mouchi. "Elaborer un code graphique pour le nouchi, une initiative précoce ? ". Le Français en Afrique 22 (2007) : 183-98.         [ Links ]

Bonvini, Emilio. "L´Injure dans les langues africaines". Faits de langue 6 (1995) : 153-62.         [ Links ]

Derive, Marie-Jo. "Le Français-façon de Côte d´Ivoire ou la façon ivoirienne de parler français ». Identités, forces centrifuges, Annales de l´université Savoie 25 (1998) : 119-34.         [ Links ]

Derive, Marie-Jo. "Internet, un nouveau terrain d´enquête". Pratiques d´enquêtes, Cahiers de Littérature Orale 63-64 (2008) : 117-26.         [ Links ]

Derive, Marie-Jo et Jean Derive. "Processus de création et valeurs d´emploi des insultes en français populaire de Côte d´Ivoire". Langue française 144 (2004) : 13-34.         [ Links ]

Griaule, Marcel. "L´Alliance cathartique". Africa 18, 4 (1948): 242-58.         [ Links ]

Hattiger, Jean-Louis. Le Français populaire d´Abidjan, un cas de pidginisation. Abidjan : ILA, 1983.         [ Links ]

Kouadio N´Guessan, J. "Le Nouchi et les rapports dioula-français". Le Français en Afrique 21 (2006) : 177-91.         [ Links ]

Labov, William. "Rules for Ritual insults"Studies in Social Interaction. Ed. D. Sudnow. New York: The Free Press, 1972. 120-70.         [ Links ]

Knutsen, A. Moseng. "Vernacularisation du français d´Abidjan". Nordic Journal of African Studies 6.2 (1997) : 52-73.         [ Links ]

Mouchi Ahua, B. Elaborer un code graphique pour le nouchi, une initiative précoce ? Le Français en Afrique n° 22, 2007 : 183-198.         [ Links ]

Nouchi.com. 5 Jan. 2014. <http://www.nouchi.com>         [ Links ].

Ong, Walter J. Orality and Literacy, the Technologizing of the Word. London, New-York: Methuen, 1982.         [ Links ]

Simard, Yves. "Le Français de Côte d´Ivoire". Langue française 104 (1994) : 20-36. Print.         [ Links ]

Zumthor, Paul. Introduction à la poésie orale. Paris : Seuil, 1983.         [ Links ]

 

 

Annexe

Voici une sélection d´insultes du répertoire conventionnel du gate-gate qui ont été recueillies sur le site web.

Insultes se rapportant à des traits physiques : Visage/Figure/Tête.

Insultes communes aux corps masculin et féminin

Généralités

Ta figure, on dirait enfant qui a vu Mami Wata (génie de l´eau très répandu dans les royances de toute l´Afrique).

Ta figure, on dirait qu´on a pris pour essuyer carreau.

Ta figure, on dirait fétiche de Djakouadjo (fétiche contre le paludisme).

Toi, ta figure, on dirait ébrié (nom d´une ethnie du sud) enfant bâtard ramassé dans l´enceinte d´une église.

Ta tête, on dirait margouillat (gros lézard qui agite la tête en permanence)

Ta tête, on dirait cabosse de cacao.

Vos têtes, on dirait cabato mélangé dans foutou, to, foufou, placali, akassa, gnommi, abobo (plats culinaires), le tout pilé dans mortier.

Vos têtes sont plates, on dirait le sol.

Ton visage, on dirait gorille qui se masturbe avec matlatom (crème nettoyante).

Ton visage, on dirait en bas de tapette (la tapette est une sandalette de type samara ; le visage ressemble donc à une semelle) de Gnamakoudji Zekinan là (le gnamakoudji est une boisson au jus de gingembre ; Gnamakoudji Zekinan est le nom d´un personnage créé par le dessinateur Xavier Konan dans une bande dessinée locale intitulée « Gbich ». Il joue toujours les gros bras).

Ton visage, on dirait placali (plat culinaire, pâte de manioc) couché de Gbagbo (ex-président) là.

Vos visages décomposés, on dirait cui (cul) de Ben Laden.

Ta gueule aiguisée, on dirait machette de sorcier.

Ta face, on dirait fesse de gnimakoudji zekinan là.

Crâne

Ton crâne brillant, on dirait que tu as mis matlatom (crème nettoyante) de Tanti Fatou dessus

Ton crâne, on dirait cabri qu´on a écrasé sur le Boulevard de Marseille

Bouche, lèvres/façons de parler

Ta bouche, on dirait gaby (dénomination locale du porc. Evocation d´une bouche proéminente comme un groin)

Ta bouche large, on dirait bouche d´éléphant

Ta bouche sent comme caniveau

Ta bouche, on dirait cui (cul) rouge de babouin

Ta bouche, on dirait kplo (peau sur laquelle on fait la pâte de manioc) non cuit, là (se dit pour désigner des lèvres épaisses)

Ta bouche, on dirait jupe volante de Marilyn Monroe

Ce qui sort de ta bouche n´est que pourriture, cherche une pâte dentifrice

Vos bouches, on dirait kata de Bruce Lee

Ta bouche pointue, on dirait pine au garde à vous

Tes lèvres froissées, on dirait con d´une vieille femme de quatre-vingts ans

Tes lèvres, on dirait deux bananes collées

Tes lèvres rouges et gonflées, on dirait deux bâtons de dynamite

Tes lèvres, on dirait matelas plié

Tes lèvres, on dirait claquettes espagnoles

Tes lèvres, on dirait piste de porte-avions

Quand tu parles, on dirait poubelles du marché gouro

Ta façon de dire « dè » (interjection dioula utilisée aussi en français populaire pour renforcer une assertion), on dirait tarot coincé dans ta gorge

Mâchoire

Ta mâchoire, on dirait guidon de Yamaha (= mâchoire proéminente)

Nuque

Ta nuque, on dirait daba (petite houe)

Vos nuques, on dirait derrière de Tanti Fatou

Ta nuque, on dirait climatiseur samsung digital, là

Nez/narines

Vos nez, on dirait caleçon de Konan (patronyme agni-baoulé courant en Côte d´Ivoire)

Ton nez, on dirait montgolfière (gros nez rond)

Tes narines, on dirait hublot

Tes narines, on dirait réacteurs d´avion

Tes narines, on dirait aspirateur universel

Tes, narines, on dirait Gbagbo en train de jouer Ludo

Front

Ton front, on dirait porte-avion

Ton front, on dirait calebasse de gbasseur (synonyme de féticheur en nouchi) espèce de vonvon (vagabond en nouchi)

Oreilles

Tes oreilles, on dirait toboggan de fourmi

Joues

Tes joues, on dirait testicules (pour quelqu´un qui a des bajoues qui pendent comme des bourses)

Cheveux

Tes cheveux, on dirait garba (plat culinaire) sans huile

Yeux

Tes yeux, on dirait phares de baby (allusion à la baby-brousse, petite voiture locale fabriquée sur chassis citroën dans les années 1970 - 90, qui avait des phares ronds)

Tes yeux, on dirait marmites de to (plat culinaire= toujours pour des yeux ronds)

Dents

Tes dents, on dirait que Dieu a jeté ça dans ta gueule

Tes dents, on dirait râteau

Tes dents jaunes, on dirait maillot d´ASSEC (club sportif)

Tes dents pourries, on dirait Côte d´ivoire a pété dans ta gueule depuis ta naissance

Cul/fesses

Ton cui (cul) sec, on dirait dièguè walen (poisson séché à la fumée en dioula)

Ton cul ouvert, on dirait entrée de boîte de nuit

Avec ton cul galeux, on dirait cube maggi, djanjou (apostrophe à l´adresse de la personne qu´on insulte. Djandjou, signifie « putain ». Il s´agit donc d´une insulte adressée à une femme. Les insultes sur les fesses s´adressent d´une façon générale plutôt à la femme)

Ventre

Ton ventre, on dirait celui d´un gorille

Jambes

Vos mollets, on dirait bouteilles Orangina à l´envers

Toi, tes mollets ne font pas le quart de ces moustiques

Tes jambes noires là, on dirait ignames on sort du champ

Silhouette générale

Ta forme, on dirait des calebasses poufs de salon (comprendre des calebasses grosses comme des poufs. Se dit pour évoquer les formes trop généreuses d´une personne. S´applique préférentiellement à la femme)

Tu es vilain, on dirait Dieu l´a pas fait exprès

Tu ressembles à un sexe de gorille

Insultes propres seulement au corps masculin (référant au pénis ou à la bourse)

Ta pine, on dirait cocotier de Grand-Bassam (localité côtière, voisine d´Abidjan)

Ton bengala (pénis dans la plupart des parlers français d´Afrique) pourri qui traîne derrière toi avec, on dirait sa (serpent en dioula) qui perd sa peau

Tes testicules sont tellement grosses (sic), tu es obligé de porter muguba (pantalon bouffant) tout le temps

Insultes spécifiques au corps de la femme

Cheveux

(allusion à des types de coiffure qu´on fait aux petites filles et aux jeunes filles sous forme de tresses dressées sur la tête)

Tes cheveux, on dirait antennes de cafard

Tes cheveux, on dirait cocotiers de Grand-Basam (localité côtière voisine d´Abidjan)

Sexe féminin

Ton vagin, on dirait marché de Trechville (quartier d´Abidjan)

Tu es go (femme en nouchi) qui fais boutique son cul (= qui se prostitue)

Seins

Tes seins, on dirait mangues pourries

Tes seins on dirait calebasses crevées

Insultes se rapportant à des traits autres que physiques

Espèce de morpion d´ouest, on dirait expert en saut en largeur

Gaoua (paysan aux manières rustres) tu viens de la brousse on dirait babouin enculé

Ton langage charabia, on dirait tu n´as pas dépassé CP

Tu es bête, on dirait tu n´a spas fait CP1

Matou galeux, on dirait tu connais pas chez les vendeuses de savon noir

Enculé de merdeux, on dirait tu te crois dans ta chambre. Va paître ailleurs, vache folle

Fils de pute, on dirait résidu de capote percée.

Cube maggi (se dit à propos de quelqu´un d´inconstant en amour qui s´accommode à toutes les sauces), quand tu danses on dirait chimpanzé

Salut negro, toujours aussi con à ce que je vois, ton gate-gate on dirait un ramassi de merdes qui pense qu´au cul (sic pour l´orthographe)

Toi, bobo, tu mankes pas de culot on dirait tu vas pleurer qd on va te toucher (sic)

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