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Tydskrif vir Letterkunde

On-line version ISSN 2309-9070
Print version ISSN 0041-476X

Tydskr. letterkd. vol.50 n.1 Pretoria Jan. 2013

 

Mémoires d'Océans et d'Ailleurs: Traversées interocéaniques

 

Inter-oceanic passages: from the French Antilles to Madagascar and back

 

 

Jean-Louis Cornille

Jean-Louis Cornille est professeur de litttérature française à l'Université du Cap. Il a publié de nombreux ouvrages sur Céline, Bataille, Sartre, ainsi que sur Rimbaud et Baudelaire. E-mail:jean-louis.cornille@uct.ac.za

 

 


ABSTRACT

In order to gauge the possibilities of producing a minor literature in French, as defined by Deleuze and Guattari in their groundbreaking work on Kafka, we have confronted two books of contemporary authors who position themselves at the forefront of francophone postcolonial literature: Le Nègre et l'Amiral (1988) by Raphaël Confiant, a writer from Martinique famous for his praise of creolity; and Za (2008) by Jean-Luc Raharimanana, a lesser-known and seemingly more radical writer from Madagascar, based in Paris. They both seem to share a common purpose of representing the population of their respective islands by their particular way of pronouncing the French language: either by creolizing it, as is the case with Confiant, or by pronouncing it with a lisp, as in Za. But these variations of the French language lead to totally opposite aesthetics. Whereas the first attempt is marked by excessive verbal display, the second one seems to function almost by default: a painful scream wrapped in near silence. Indeed, Le Nègre et l'Amiral is dominated by images of verticality and erection, which translates in the cooccurrence of multiple version of the same events, while Zafavours the horizontality of bodies and corpses lying down. From within the politico-literary context in which they were published, these works offer two different solutions to the same problem: how to escape the normative tendencies enshrined in a major language such as French, and flee or chase the discourse of the master.

Keywords: Francophone postcolonial literature, Raphaël Confiant, oppositional aesthetics, Raharimanana.


 

 

Que se passe-t-il quand on lit d'une main deux livres en même temps, dont l'histoire de l'un se passe en Martinique, celle de l'autre à Madagascar ?1 La traversée nullement triangulaire va néanmoins s'avérer périlleuse, remplie d'obstacles et de travers. Choisis au hasard de mes lectures, voici que se rencontrent Za (2008) de Jean-Luc Raharimanana, et Le Nègre et l'Amiral (1988) de Raphaël Confiant, et qu'ils se mettent, en entremêlant leurs lignes, à se lire réciproquement, par-dessus la tête de leur lecteur - sans qu'on puisse toutefois parler d'intertextualité à leur sujet, puisque on part du principe que les deux textes se sont écrits sans nécessairement se rencontrer avant le moment de la lecture croisée qu'on en propose ici. Ce qui favorise leur rapprochement, par-delà le hasard qui les a réunis,2 c'est le fait que tous deux présentent une même volonté de minorer la langue en légendant un peuple lui-même mineur, violé ou violenté, qui parle en la zézayant ou en la créolisant. Ces deux tentatives, l'une publiée en 2008, l'autre vingt ans plus tôt, sont menées fort différemment ; on les dirait même à l'opposé l'une de l'autre: la première, narrée au présent (et quelquefois au futur), étant plus violente, plus anarchique que la seconde, dont les allures de roman classique mené au passé simple sont cependant trompeuses. Jointes, elles dessinent pourtant bien les paramètres incertains d'après lesquels une littérature mineure, telle que définie par G. Deleuze et F. Guattari, peut aujourd'hui se développer encore en langue française.

Le Nègre et l'Amiral, publié en 1988, constitue le premier roman en français de Raphaël Confiant. S'y raconte une Martinique sous la férule de l'amiral Robert, envoyé par le gouvernement vychiste de Pétain au début des années quarante, au moment du blocus américain. Parmi une panoplie de personnages "haut en couleurs", deux personnages bénéficient d'un éclairage particulier : Amédée, intellectuel mulâtre à la parole et à l'écriture soignées, et Rigobert, nègre driveur du bidonville au parler fortement créolisé, au point qu'on a pu voir dans ce roman une mise en question de la classe favorisée des mulâtres.3 Quant à l'amiral, il ne fait son apparition qu'à une seule reprise, mais son ombre plane sur toutes les destinées mises en scène. Le Nègre et l'Amiral : ces deux personnages ne seront jamais aussi proches que sur la couverture, puisqu'ils ne se rencontrent jamais, tout en se complémentant ironiquement (le nom de l'un étant habité par celui de l'autre) ; le premier s'oppose violemment au second, qui finira par mettre à prix la tête de l'admirable nègre. Ce roman fut suivi d'un second, Eau de Café (1991). Couvrant une période nettement plus longue du siècle dernier (qui englobe des épisodes narrés dans le premier roman),4 il s'avère plus densément peuplé encore de personnages les uns plus bruyants que les autres. Dans ce roman visiblement marqué par un réalisme merveilleux sans doute originaire d'Amérique latine, le narrateur, revenu de ses études en France, tente auprès de sa vieille Marraine d'éclaircir le mystère d'une fille, morte jeune, dont elle s'était autrefois occupée, et à laquelle elle avait donné le prénom allégorique d'Antilia, fille des Antilles.

Le roman de Raharimanana, quant à lui, se laisse difficilement résumer, tant l'allégorie y domine le récit. Le ton y est tantôt incantatoire et douloureux, tantôt sarcastique et rempli d'invectives. Et à nouveau, l'on assiste à un duel entre l'opprimé et l'oppresseur, le Nègre et l'Amiral. Nous sommes à Madagascar, dans l'après-dictature communiste : c'est à présent Dollaromane qui règne. Za, le héros solitaire, autrefois emprisonné et torturé, part à la recherche du corps de son fils, et finit lui-même à demi-vivant parmi les morts, poursuivi par le Commandant, avec comme seule arme une parole écervelée au débit continu ensevelie sous un silence de plomb. Dans un premier roman, Nour 1947, publié en 2001, soit sept ans plus tôt, Raharimanana mettait déjà en scène une île de Madagascar ravagée par la violence. A peine revenu de la guerre, un tirailleur malgache voit ses anciens camarades opprimer le soulèvement populaire : parmi leurs victimes, Nour, sa bien-aimée ; il se réfugie alors dans une île qu'il croit inhabitée, mais qui en réalité s'est dépeuplée : des hauteurs de ses falaises il arrive à des enfants de sauter par désespoir. Il n'est donc pas d'échappée possible à la violence. Les livres de Raharimanana sont unanimement perçus comme étant difficiles d'accès, et même parfois pénibles, douloureux à la lecture, en dépit de leur drôlerie occasionnelle et de leur poéticité généralement admise : un mal-gâchis -alors que la plupart des critiques ont estimé que le roman de Confiant est d'une conception relativement classique et facilement lisible, l'essentiel des malversations (le plus souvent joyeuses et drôles) et des ruptures de tout ordre ne dépassant guère ce que le roman en général tolère.

Se pose ainsi la question des stratégies communes développées au sein des écrits littéraires en pays autrefois dominé. En dépit de similitudes fortes que le rapprochement qu'on va tenter ne manquera pas de faire apparaître, se dessinent toutefois deux démarches très différentes. Deux cheminements, en quelque sorte divergents, malgré des parallèles évidents. Comme pour arriver au "Grand Œuvre" des alchimistes d'autrefois, l'un est long et tortueux, quoique savoureux ; l'autre est ardu, sec, aride même, mais il mène droit au but. Je vais donc mettre en rapport deux œuvres qui s'agencent dans un contraste maximal : l'une se déploie verticalement, s'érige en multipliant les étagements et les dénivellements ; l'autre se déroule, au contraire, horizontalement, en nivelant tout sur son passage. Dans Le Nègre et l'Amiral, on observe en effet que tout commence et tout finit sur les "quarante-quatre marches" reliant la ville et l'en-haut, que les principaux personnages ne cessent de gravir en les comptant superstitieusement. Participent de cette même verticalité les érections innombrables des personnages mâles toujours prêt à "coquer " ; ou la harangue dans laquelle se lance le nègre Rigobert du haut de la statue depuis décapitée de Joséphine de Beauharnais (Le Nègre 72) ; ou encore l'exigence exprimée par Richard, de retour de guerre, d'être porté en héros sur les épaules de la foule assemblée (Le Nègre 302). Bref, on accumule, on entasse cercle sur cercle (il y en a cinq au total dans ce premier roman en français de Confiant ; il y en aura sept dans le roman suivant, Eau de Café) ; on met l'un au-dessus de l'autre ce qu'on raconte, plusieurs versions d'un même événement coexistant au milieu d'une assemblée elle-même encerclée par les limites de l'insularité.5 Dans Za, au contraire, il n'est de position du corps envisageable qu'étalée à l'horizontale : c'est ainsi qu'on trouve le personnage principal successivement attaché à un lit, transporté sur une litière à la façon d'un mort, et gisant au milieu des tombes et de leurs occupants en voie de décomposition, aux sexes détumescents et mous. Ce sont deux stratégies à ce point différentes qu'elles donnent lieu à des styles qu'il est aisé d'opposer.6 D'une part, mises en relief et dénivellements obtenus par un constant décrochage du récit principal, sans arrêt discontinué par des digressions dans le passé ; d'autre part, aplanissements des instances de l'énonciation, écrasement des personnages entassés les uns sous les autres.

Telle serait donc l'alternative : décrochages ou mises à plat. Excès, extravagances et rajouts, ou sobriété, manques et défauts. Dans le contexte politico-littéraire dans lequel se sont écrites ces œuvres, ce sont deux solutions différentes au même problème : comment échapper aux tendances normatives inscrites au sein d'une langue dominante ? Comment fuir ou faire fuir le discours du maître ou du colon ? Détacher de ses territoires ancestraux une langue française qui s'y est profondément ensouchée ? Je laisse à ce sujet s'exprimer Deleuze et Guattari : afin de pousser plus loin la déterritorialisation dans l'expression, disent-ils, "il y a deux manières possibles" : ou bien enrichir artificiellement la langue, ici française, la "gonfler de toutes les ressources possibles d'un symbolisme, d'un onirisme, d'un sens ésotérique, d'un signifiant caché"- bref en "rajouter ", par excès, en l'inondant et en la boursoufflant. Ou bien, au contraire, opérer par manque, défaut et soustraction, en réduisant la richesse d'une langue, ou en la maniant telle qu'elle se prononce ailleurs, dans sa pauvreté même : la rendant àjamais étrangère-par le bégaiement, ou, comme ici, par le zézaiement. C'est ce que Deleuze et Guattari appellent "aller toujours plus loin dans la déterritorialisation [...] à force de sobriété. Puisque le vocabulaire est desséché, le faire vibrer en intensité" (35),7 jusqu'au cri.

Voilà bien qui semble séparer nos deux auteurs sur le plan de l'usage détourné qu'ils font de la langue française : alors que l'un "procède à force de sécheresse et de sobriété, de pauvreté voulue, poussant la déterritorialisation jusqu'à ce que ne subsistent plus que des intensités", l'autre "ne cesse de procéder par exubérance et surdétermination, et opère toutes les reterritorialisations mondiales" (Deleuze et Guattari 35). On songera ici aux diverses couches dont se compose la population des Antilles et que les romans de Confiant ne cessent de faire remonter à la surface : Caraïbes, Békés, Africains, Métis, Syriens et Indiens, et leurs divers mélanges possibles. On songera encore aux influences latino-américaines, tel que le recours au réalisme magique à la Garcia Marquez. Mais également aux digressions et multiples versions qui s'échafaudent ; ou aux décrochages narratifs qui se succèdent vertigineusement, une histoire étant interrompue pour céder la place à une autre, sans nécessairement être reprise (Confiant, Le Nègre 83-90). Et enfin, aux procédés d'extension de la langue mis en place par l'auteur antillais. Par rapport au nombre limité de mots que l'école enseignait au locuteur créolophone, celui-ci, a trouvé, d'après Confiant, d'autres moyens d'enrichir le dictionnaire :

Faute de connaître "sottise", "bêtise", "ânerie", "connerie" et consorts, il entreprit de jouer sur la gamme des suffixes pour rendre les nuances existant entre ces différents termes, ce qui bailla, au grand dam des Blancs créoles, "couillonnaderie", "couillontise", "couillonnerie" et "couillonnade". Et dans un autre domaine, "mensonge", "mensongerie", "menterie" et "mentaison". (Eau 93)

La prédilection manifestée ici pour des mots bas ou à connotation négative n'est pas due au hasard, loin de là. Antilia, l'héroïne d'Eau de Café, s'exprime ainsi à propos du créole des Antilles :

Ils nous ont démunis de ce que nous avons de plus précieux. Ils ont éventré notre langue avec une passion jubilante, ne nous laissant que des bribes, des fœtus de phrases et de jurons [...] Ils ont étranglé la chaleur de ses sons dans l'armature de nos gosiers et ils ne nous ont laissé que le dérisoire, l'infect et l'incestueux [...] Ils nous ont métamorphosés en bourreaux de chaque mot, en contempteurs satisfaits de notre propre dire et nous n'avons rien fait, rien dit. "Kal" (verge), "Koukoun" (chatte), "Bonda" (cul), "Koké" (baiser) : voilà ce qu'il en reste ! La tétralogie du foutre et de la merde. Le jargon néandertalien d'une grappe d'indigènes somptueusement fardés dans l'attente d'un enterrement de première classe. (Eau 286)

Si la déformation porte essentiellement sur les terminaisons, chez Confiant, chez Raharimanana elle porte sur la phonétique d'abord. Za non moins pratique la déformation systématique de la langue par onomatopées, allitérations, calembours, mots valises et zézaiements.8 Du début à la fin, le narrateur s'exprime du bout de la langue, en zézayant ou en zozotant, comme s'il avait un cheveu sur la langue : "j" et "g" deviennent "z" ; "ch" devient "s", au point qu'on pourrait parler d'une régression, puisque chez l'enfant, les sons "ch" et "j" sont acquis plus tard : "Ragarde donc : les mots coulent de ma bouce, les mots pourrissent dans ma bouce, mon palais est trop saud [...]. C'est un rire travaillé longtemps dans ma gorze profonde" (Za 20). Cependant, ce "défaut" de prononciation est accidentel : il serait survenu à la suite de tortures subies, lorsqu'on enfonça le canon d'un revolver dans la bouche du narrateur. Mais il importe de remarquer que cette blessure individuelle rejoint celle d'un peuple entier, dans la mesure où elle coïncide avec une tendance au zézaiement observable dans la prononciation malgache populaire du français, dûment signalé dans le texte : "allimer le sarbô" (Za 129) ; "T'y veux savoir où se casse ton fils" (Za 207). Pour finir, c'est la langue elle-même qui s'en trouve d'un bout à l'autre affectée : c'est-à-dire entravée d'affects. Car, il ne s'agit pas de faire porter le zézaiement sur la parole d'un seul individu, ni même sur une communauté entière, mais sur la langue elle-même, comme l'affirmait déjà G. Deleuze : c'est alors "comme si la langue tout entière se mettait à rouler, à droite, à gauche, et à tanguer, en arrière en avant" ("Bégayat-il" 139). Tanguer : tel est bien le mouvement essentiel auquel est soumis le narrateur sur son lit rendu mobile d'abord, ensuite sur la litière sur laquelle on le transporte vers les tombes : "Za tangue sur les épaules des porteurs qui braillent leurs rhums triomphants [...]. Za roule dans l'eau des rizières. Ils me reprennent" (Za 157) ; car c'est un même mouvement que de marcher-trébucher et de parler-zézayer. La langue est "en perpétuel déséquilibre" ; bifide, elle fourche et se divise en autant de bifurcations ; et pour finir c'est tout le langage qui tangue et chavire, en constant déboîtement. Le lecteur lui-même n'est pas à l'abri de ce mouvement : à son tour il se met à zézayer ou à confondre les instances d'énonciation.

Car le zézaiement n'est pas seul en cause. Et c'est surtout à cause de l'origine incertaine de l'énonciation, sans cesse oscillant entre une première et une troisième personne, qu'il se met à bégayer ou à zézayer à son tour. "Za", est-ce une déformation de "je" ("ze") ou est-ce un nom propre ? Le texte joue sans arrêt sur cette ambiguïté, privilégiant tantôt l'une, tantôt l'autre forme, et cela dès les premiers mots : "Eskuza-moi", expression dans laquelle on assiste à la naissance de "Za", aussitôt agglutiné au Moi : "Za m'eskuze" (Za 9). Mais bientôt surgit la troisième personne, qui bientôt va dominer : "Za ne sait qu'en faire" (Za 10). A la fois Je et Nom propre, Za entraîne le lecteur dans une oscillation permanente qui fait violence au lecteur.9 Evidemment, on ne confondra pas bégaiement et zézaiement, sauf à dire que ce sont tous deux des troubles de la parole : insensiblement, on glisse de l'un à l'autre. Le nom à son tour s'en trouve affecté, prononcé à chaque fois comme dans un bégayement : le nom du double de Za se prononce successivement "Ratovo, Ratovoantany, Ratovoantan-itsitonjanahary" (Za 79). D'où encore le recours fréquent aux mots-valises, lorsque plusieurs mots se chevauchent au sein d'un seul afin de dire deux choses contradictoires à la fois, comme dans "respectre" ou "démoncrates" (Za 10). On peut aussi bégayer en sens inverse, par simple contraction des mots.

Ces tendances déformantes chez l'un et l'autre auteur s'inscrivent dans un même effort de détournement d'une langue de grande puissance : ce que Deleuze et Guattari appellent "faire un usage mineur d'une langue majeure" (ou Chamoiseau "écrire en pays dominé"). Dans ces conditions, il n'étonnera personne qu'en dépit de leurs différences, des convergences vont apparaître entre les deux textes : les interférences vont se multiplier. C 'est ainsi qu'on trouvera tout un passage dans Za, où le narrateur décide, au détour d'un jeu de mot entre la lettre P et la sonorité olfactive qui s'en dégage, d'omettre la lettre P, dans un discours du "résident de la réublique", adressée à ses "Comatriotes et Comatriotesses" (Za 149) ; un même traitement affectera la lettre R dans un passage similaire du Nègre et l'Amiral où le Pouvoir est également mis en scène de façon irrévérencieuse : "J'ai lu qu'un Ami'al est un g'and ma'in qui fait beaucoup de combats sur la me' ; c'est pou'quoi, le Ma'échal vous a envoyé ici pour chasser tous les ennemis de la Fouance" (Confiant, Le Nègre 274).10

Sur le plan des coïncidences entre les deux textes, voici cependant le plus spectaculaire. La verticalité qui caractérise le récit de Confiant et l'horizontalité que manifeste celui de Raharimanana se rencontrent en un point d'intersection qui est loin d'être innocent. Je veux parler du milieu de leur texte. Il est toujours intéressant de se demander ce qui se passe au milieu d'un texte, plutôt que rester rivé à son début ou à sa fin, en analysant l'incipit ou l'excipit, qui finissent ainsi par se rejoindre. Sans doute est-ce un lieu commun du roman que les premiers et les derniers mots s'y rejoignent pour ainsi former une boucle. Mais, comme l'exprime encore Deleuze, c'est par le milieu que les changements se produisent réellement : "Ce n'estjamais le début ni la fin qui sont intéressants, le début et la fin sont des points. L'intéressant c'est le milieu [...]. On recommence par le milieu" (Deleuze et Parnet 50 ; "Par ou commencer ?" se demandait fameusement R. Barthes : par le milieu, pardi !) Suivre la ligne, et non pas le point : la ligne de fêlure qui passe par le milieu, et qui agit comme un point de rebroussement dont les effets remontent jusqu'au début du texte et trouvent à culminer dans sa fin.

Que trouve-t-on donc au milieu de Za ? Sur quoi tombons-nous en ouvrant le volume en deux parties égales ? Nous nous trouvons au chapitre 15 : s'y prépare justement la scène centrale du retournement des morts. Afin de faciliter la fuite de Za, ses compagnons décident de l'envelopper dans un linceul et de le faire passer pour l'un des ancêtres à l'occasion de la cérémonie du nettoyage des os, prévue pour le lendemain. A partir de là, de ce retournement et de cette pseudo-mort, le récit s'inverse, pour dévaler vers sa fin. Tel est le point de rebroussement, définissant une ligne de fuite sur laquelle tout reflue à rebours : un point qui, loin d'être statique, dessine au contraire un pur mouvement à travers lequel s'opère la métamorphose du héros, Za allant ainsi à rebours, de Z à A. Il y a là un principe de construction somme toute assez classique, qu'on trouve déjà dans Le Nègre et l'Amiral : si tout commence et tout finit par l'escalade des "quarante-quatre marches" reliant la ville et l'en-haut, il existe un point médian, au "mitan" du livre, où réapparaît cet escalier (Confiant, Le Negre 11, 335). Mais cette fois, il est parcouru à l'envers, et ses marches comptées à rebours : "Amédée [...] ignorait qu'aucun bougre d'ici n'avait jamais eu l'idée saugrenue de les compter dans le sens de la descente. Il signa donc ce soir-là, sans le savoir, un pacte avec la mort volontaire" (Le Negre 149). La recherche d'un tel point symétrique peut surprendre au sein de récits cherchant à donner du monde une image chaotique : ce point toutefois est par définition lui-même asymétrique en ce qu'il provoque catastrophes et métamorphoses. L'un des mots les plus récurrents, dans la langue de Confiant, désigne précisément le milieu : c'est "mitan". Il apparaît fréquemment dans le roman qui nous concerne. Et dans Eau de Café, il surgit comme par hasard au beau milieu du livre : "Pour nous autres, natifs-natals, le bourg de Grand-Anse était le mitan du monde" (204).11

De fait, la division symétrique du récit est plus nettement perceptible encore dans Eau de Café, puisque l'incipit, "Or donc Antilia s'en alla comme elle était venue" (Eau 11), est partiellement repris au centre du récit : "Or donc Eau de Café ne concevait pas le déroulé de sa vie tel que le décrit la rumeur " (Eau 187). Cette reprise se produit au chapitre 16, qui occupe le milieu des 31 chapitres que compte le texte, lui-même divisé en sept cercles (chacun comprenant de 4 à 5 chapitres). C'est à mi-chemin également que se produit la disparition momentanée des notes du narrateur : "Plusieurs de mes cahiers de notes ont disparu", de la chambre à l'étage de l'hôtel (Eau 174) : celle-ci est mise "sens dessus dessous" (Eau 175) : en vain. Le manuscrit demeure introuvable, jusqu'à ce que la bonne "ôte de son large slip mes cahiers dont les coins sont chiffonnés" (Eau 175). Voilà qui trouvera un écho aux dernières pages du roman, lorsque le narrateur se défait momentanément de ces mêmes cahiers : "je jette mes cahiers ainsi que les lettres d'Antilia à Emilien Bérard dans un dalot où une eau nauséeuse s'écoule avec paresse [...]. Me ravisant soudain, je rebrousse chemin et récupère mes documents, mouillés et boueux maintenant" (Eau 380). Nous retrouvons ainsi au milieu du récit ces mêmes tendances (étagement et rebroussement) déjà aperçues dans Le Nègre et l'Amiral :

Pour chacun d'entre nous, la vie s'est étagée de la campagne au bourg, du bourg à la ville et de la ville à la France [...] ; quand nous nous avisons de rebrousser chemin, nous réalisons l'ampleur de notre désarroi [...]. Alors, nous nous fixons, frénétiques, sur un seul pan de passé et nous tentons de grimper l'échelle des jours sans qu'aucune aide de quelque nature nous soit offerte. Mais que faire des miettes de délires, de vestiges d'épopées avortées. (Eau 185)

Toute l'histoire se déroule d'ailleurs à partir du renversement d'un regard : "les habitants du village se sont détournés de la mer parce qu'elle ne donne plus de poissons depuis la malédiction d'Antilia, l'enfant trouvée sur la plage, qui avait, elle, le visage toujours tourné vers la mer, et le dos tourné à la rue." (Eau 269)12

Ces diverses techniques n'ont évidemment rien de nouveau. Avant Confiant et Raharimanana, d'autres écrivains ont déjà employé cette confusion des pronoms personnels, l'incertitude des identités.13 Il en va de même pour cette césure au milieu à partir de laquelle tout s'inverse : on la trouve déjà au principe des tragédies grecques (selon Hölderlin), et Flaubert devait construire ses Trois Contes selon ce principe. Alors que les deux premiers romans de Confiant comportent de nombreuses références littéraires (à Breton et à Césaire, dans Le Nègre et l'Amiral, par exemple) et que ses personnages manifestent des velléités d'écriture (Amédée ou le narrateur d'Eau de Café), Raharimanana ne se permet aucune mention directe du monde des lettres : à croire que son narrateur est autodidacte en matière d'écriture, et qu'il rédige ses écrits le dos tourné à la bibliothèque.14 Ce qui ne signifie nullement que l'auteur lui-même n'aurait pas subi d'influences françaises : mais, de son propre aveu, il s'en est privé volontairement, dans un souci de couper court à toute tentation mimétique.15 Du reste, dans le cas de Raphaël Confiant, l'influence majeure ne vient pas de France, mais d'Amérique latine : on sait l'impact qu'eut sur son écriture le réalisme magique ou merveilleux de Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez.16 Entre archanges on s'entend à demi-mots.

Pour conclure, j'aimerais renouer avec l'un des thèmes sur lesquels je me suis penché à une autre reprise, dans le contexte des récritures postcoloniales : celui de la scolarité difficile. (Voir à ce sujet les chapitres consacrés à Chamoiseau et à Mabanckou, Cornille 45-58 ; 85-106). Ce thème n'est nullement abordé ici, mais ce qui est frappant, c'est l'importance que revêt le thème corollaire de l'instituteur dans ce type de récit. Le maître d'école se trouve de façon proéminente chez Mabanckou, Chamoiseau et Appanah ; on le retrouve à nouveau chez Raharimanana et Confiant. Et ce n'est certes pas un hasard si Za est un ancien instituteur (Za 35), ou si Amédée Mauville et son ami Alcide sont d'anciens profs (Le Negre 39, 49), ni qu'ils aient à chaque fois été démis de leur fonction d'enseignant, comme l'avait d'ailleurs été Verre cassé dans le cas du récit de Mabanckou. Subalternes, ces personnages n'en sont pas moins tous des anciens maîtres. Car seul leur passé d'instituteur, c'est-à-dire de bon élève, a pu leur ouvrir l'accès à l'écriture : ils écrivent donc. Mais seule leur démission, en tant que mauvais instituteur, leur permet de réellement envisager une carrière d'écrivain, en les situant hors-système. Aussi est-ce toujours dans l'échec qu'ils écrivent. Le livre reste à faire, il s'avère interminable - comme c'est le cas dans Za, où le narrateur, incapable de terminer, multiplie les chapitres "bis", et pour finir, "lassé de tous ces épilogues avortés, ramasse les derniers feuillets et vous les livre en vrac" (Za 247) ; ou encore dans Le Nègre et l'Amiral, où le roman autobiographique d'Amédée, Mémoires de céans et d'ailleurs, demeuré inachevé, sera brûlé après que sa compagne en a mémorisé des passages.

Il a bien failli en aller de même dans Eau de Café, où le narrateur jette à l'eau ses documents patiemment collectés, avant de se raviser et de reprendre ses manuscrits trempés. Et c'est alors à l'auteur lui-même, à qui l'on peut faire "un peu confiance" (Eau 317), qu'il incombe de se charger de cette tâche de nous livrer un livre enfin parachevé en s'extirpant de l'univers clos qu'il vient de nous dépeindre. Mais la manière dont chacun d'eux s'y prend varie : d'un côté, Za multiplie les déterritorialisations et les déterrements (les autorités vont même jusqu'à nationaliser les morts, dans un effort d'accélérer leur ré-enterrement : peine perdue, les morts sont sortis, ils errent parmi les vivants), qu'il opère tout en charriant des bribes de contes et de rituels malgaches ; de l'autre, Le Nègre et l'Amiral semble privilégier les reterritorialisations, souvent racialisées à l'extrême, sur d'anciens contes et proverbes créoles, mais aussi sur des bribes du patrimoine littéraire français, tout en traçant le rêve d'une dérive archipélique, et même le cauchemar d'un engloutissement final de l'île (dans Eau de Café). Déterritorialisations et reterritorialisations : ce sont là des tendances propres à toute littérature mineure que seule la confrontation des textes peut faire surgir dans toute sa netteté. Qu'elles aillent dans un sens ou dans un autre, ces écritures contemporaines, postcoloniales dans leur revendication, postmodernes dans leur facture, demandent une lecture elle-même "post-textuelle" (voir Schuerewegen) qui ne devient réellement efficace que dans la conjonction de leurs tendances respectives, au détour d'une lecture croisée qui déplace les textes, au lieu de les confiner dans un espace clos, en leur rendant toute leur mobilité de parole vive à force de rester à l'écoute de leurs virtualités : nous révélant alors ce qu'un texte peut.17 Ce peu-là des littératures dites petites.

 

Notes

1. Ou pour être plus précis, l'un à Fort-de-France, l'autre à Antananarivo.

2. Hasard tout relatif, dans la mesure où je me suis appuyé ici sur un corpus rassemblé par deux étudiantes en doctorat de Lettres, Juliana Lovatiana et Cynthia Parfait (Université d'Antsiranana, Madagascar).

3. C'est l'hypothèse tout à fait séduisante qu'émet Dominique Chancé, en insistant sur l'opposition réelle du roman qui passerait entre le Nègre Rigobert et son ami Amédée Mauville, l'intellectuel mulâtre, dont le portrait ressemble beaucoup à celui que Franz Fanon donnait, dans Peau noire, masques blancs, de Jean Veneuse, héros de R. Maran. Voir D. Chancé ; voir aussi D. Fulton.

4. Confiant pratique aussi le retour très balzacien des personnages, dans cette vaste Comédie Créole qu'est devenue son œuvre. Voir aussi Le meurtre du Samedi-Gloria, par ailleurs assez proche de Solibo Magnifique de P Chamoiseau.

5. Voir par exemple les multiples versions de la rencontre entre Rigobert et Lapin Echaudé, aux premières pages du Nègre et l'Amiral, ou les trois versions de la mort d'Antilia, au début d'Eau de Café.

6. II s'agit bien sûr de tendances dominantes, qui n'empêchent pas l'existence d'occurrences contraires : il arrive à Rigobert de se retrouver à plat ventre, au sol, et à Za de descendre les escaliers de Tana.

7. Pour la tendance contraire, du rajout, voire Superpositions de G. Deleuze sur le théâtre excessif de Carmelo Bene.

8. L'influence d'Alfred Jarry est ici manifeste, comme l'indique l'usage fréquent de la fameuse expression d'Ubu : "merdre" (Raharimanana, Za 19). Non moins retrouve-t-on l'adjectif "ubuesque" dans Eau de café, où fusent de nombreux autres jeux de mots : "Veni-Vidi-Vichy" (234), "Départements d'Outre-Tombe" (260), "subjonctifs imparfaits (imparfaits dans leur construction bien sûr)" (263).

9. Ce mouvement est déjà sensible dans Nour 1947, où le "Je" est souvent omis : "Me verse doucement" (11). Le héros s'y nomme Zatovo, père de Za-Ratovo. Notons que l'auteur, sur ses couvertures, fait abandon de son prénom français chrétien (Jean-Luc).

10. On songera aussi à la transposition fameuse des propos du général De Gaulle visitant la Martinique ("Mon Dieu, que vous êtes français") en : "Mon Dieu, que vous êtes foncés" (Confiant, Eau 305).

11. Le "poteau-mitan", qui a sa place dans les rituels vaudous, désigne le plus manifestement ce centre - comme il apparaît de ce conseil donné au narrateur : "Tiens-toi sous la lumière crue, le dos collé au poteau-mitan du marché" (Confiant, Eau 369).

12. Autre renversement : bien que publié après Le Nègre et l'Amiral, Eau de café fut écrit avant lui, achevé déjà en 1984, selon une observation que l'auteur confia à Juliana Lovatiana, dans un échange électronique. Quant à Raharimanana, il avoue toujours écrire un livre en opposition au précédent.

13. Za s'appelle aussi Ratovoantanitsito ; et chez Confiant, tel Béké est désigné sous trois noms différents : Lagarrigue, Survilliers, Lavalmenière (Confiant, Le Nègre 141).

14. Hormis ces quelques références scolaires : 'Appelez-moi l'Inconsolable, le Veuf, le Ténébreux" (Za 25) ; "morne plaine" (Za 215); "Za a enseigné La sute, La peste' (Za 36).

15. "J'en avais marre de mon écriture qui était imitée d'auteurs pour la plupart rencontrés dans l'anthologie de poésie de Pierre Seghers" (Maury).

16. Ces allusions à Garcia Marquez sont surtout sensibles dans Eau de Café, comme c'est le cas dans cette évocation lapidaire d'Honorat Congo : "Les années s'enfuirent, sa tête blanchit, son parler s'affina au contact des gendarmes blancs qui s'acclientaient chez lui, son salon se modernisa. Seul son amour, qu'il avait su par on ne sait quel miracle garder à l'abri des commérages, ne varia pont" (Confiant, Eau 345). Et, de façon plus prononcée encore, à propos d'Antilia : "Elle avait vécu cent sept ans seule dans un renflement de la plage sans que personne s'en aperçoive" (Confiant, Eau 357). Le roman de Raharimanana accueille de semblables références aux maîtres latino-américains du "réalisme magique" : on songera toutefois plutôt à Pedro Paramo, de Juan Rulfo, l'histoire d'un fils, parti chercher son père parmi les morts.

17. Longtemps, la critique s'est constituée à partir d'un texte conçu tantôt comme une fin en soi, tantôt comme une origine à laquelle il fallait revenir. Et ce n'est qu'assez récemment qu'une conception plus transitoire et fluctuante du texte s'est développée. Dans une comparaison célèbre, Gilles Deleuze observait que les nouveaux sports (du type surf, planche à voile, deltaplane) avaient tendance, au lieu de s'appuyer sur un effort initial du sportif, de s'inscrire dans un mouvement déjà existant, par insertion sur une "onde préexistante" (Pourparlers 165). Que se passe-t-il "entre" deux textes ? Comment s'inscrire dans le mouvement ? Quelqu'un vient nous dire : c'est facile, il suffit de se laisser porter, plutôt que de s'abriter derrière de grands efforts savants. A l'instar des surfers (sur toile ou sur voile), le lecteur post-textuel se déplace de surface en surface à la recherche de nouvelles vagues, soucieux ni d'arriver ni de partir, mais de passer "entre". On peut renvoyer ici à un autre texte malgache, Géotropiques, de Joahary Ravoloson, où se développe cette analogie entre la "glisse" sur les houles et l'écriture.

 

Références

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- et C. Parnet. Dialogues. Paris : Flammarion, 1977.         [ Links ]

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Schuerewegen, F. Introduction à la Méthode Postextuelle, L'exemple proustien. Paris : Classiques Garnier, 2012.         [ Links ]

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